« Moi, petite »

C’est aujourd’hui Christine qui nous raconte… qui a sonné à la porte ? Un suspense tout en délicatesse… On ne vous en dit pas plus !

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Moi, petite
J’ai pris quelques jours de congé pour m’isoler afin de terminer un texte, entrepris depuis plusieurs années. J’ai réservé une demi- pension dans un joli hôtel à Barbizon, privilégiant le calme et l’isolement afin de venir à bout de mon récit. Je le destine à mon époux dont l’histoire m’inspire, me touche, autour de laquelle je me suis lancée dans l’écriture d’une fiction.

Je viens de rentrer d’une balade, fatiguée. Je me déchausse et prépare un thé « Bleu des légendes » dans ma chambre, petite mais confortable, à l’atmosphère apaisante. J’ai bien sûr éteint mon téléphone. Je vais  me connecter à l’ordinateur et reprendre l’écriture après mes deux heures de marche. Je me sens vide, mais disponible.

Je connecte mon iphone en bluetooth, afin d’écouter quelques pièces de Bach, interprétée par Alexandre Tharaud, quand j’ai l’ impression que quelqu’un frappe à la porte. Surprise, je ne vois pas qui cela peut être ; personne ne sait où je suis. J’ai juste informé mes proches de cette parenthèse pour écrire, sans plus de précisions. 

L’andante de Bach vient à peine de reprendre la troisième mesure quand je perçois de légers frottements sur la porte. Quelqu’un essaye bien de me signaler sa présence et me sollicite pour que j’ouvre. De nouveau, trois petits coups. Peut-être est-ce la femme de chambre qui veut s’assurer que je n’ai besoin de rien avant la nuit ? Je finis donc par ouvrir sans réfléchir davantage.

Une apparition ! 

Moi, petite, sur le pas de la porte. Je dois avoir huit ans, dans la robe rouge à pois que j’aimais tant. Je souris à la femme que je suis devenue. Je crois que je vais m’évanouir, mais devant ce  visage si détendu de l’enfance, je reste debout dans l’attente. Dans ce reflet de moi-même, je perçois instinctivement la peur, la solitude de l’enfant.  Suis-je en train de rêver ?

La petite que je suis ne dit rien. Elle ne bouge pas, puis imperceptiblement, un sourire contenu et timide se dessine au coin de sa bouche. Je sens alors monter en moi comme une vague de joie et de terreur mélangées.

« Je veux te parler. Tu es belle. » 

Le son de sa voix me déstabilise totalement ; je retrouve ma peur d’être toujours de trop, à la mauvaise place, je lui demande : 

« Pourquoi as-tu besoin de me parler ? Mais tu as l’air d’avoir froid ? »

« Oui,  comme si j’étais morte. Il paraît que le corps des morts est glacial. J’ai soif. J’ai faim. Tu es vraiment belle ! Je suis contente de te voir ; je croyais que tu m’avais oublié. »

Je sens soudain cette respiration de l’enfant en moi. Je me retrouve. 

« Comment peux-tu imaginer ma vie dissociée de la tienne ? »

« Je ne sais pas. J’ai peur que tu m’abandonnes, que tu ne m’aimes plus. J’ai mal au cœur. »

« Ne crains rien, je me bats tous les jours pour que ces pensées fantômes cessent, tu sera bientôt libérée de ce fardeau dévastateur… Aujourd’hui, je t’aime beaucoup mieux. J’ai beaucoup de tendresse pour toi ! »

« Ah oui ? Tu ne regrettes rien ? »  

« Je ne crois pas ; tu as fait ce que tu pouvais et je te remercie. Je n’en demande pas plus. »

« Alors, viens avec moi, je veux te montrer quelque chose. » 

« Je n’ai pas envie de sortir en pleine nuit dans ce village, que je ne connais pas… »

« Mais tu le connais ! Tu ne te souviens pas ? »

« Non, vraiment pas ! Je ne suis jamais venue ici ! »

« Tu as la mémoire courte ou trop de souvenirs ! Allez, suis-moi, s’il te plaît ! » 

Je décroche mon ciré, enfile une paire de baskets, pour suivre mon ombre dans ce silence imposant de la nature endormie. La petite se déplace rapidement et silencieusement. C’est vrai, je me souviens de cette habitude que j’avais de vouloir être quasi transparente et totalement silencieuse. Surtout, ne pas déranger…  Respirer le moins fort possible et occuper la plus petite surface, telle un petit rongeur à l’affût. Je la suis donc, avec ma démarche aujourd’hui plus affirmée, à ma guise, sans plus me soucier des créatures alentour. La nuit est sombre et cette apparition de moi-même, alors que je me consacre à un écrit sur l’enfance, est tout à fait troublante et improbable. Un tel événement n’est pas pensable. Et pourtant.

« Avance un peu plus vite ! S’il te plaît, moi non plus je ne suis pas très rassurée. »

« J’ai peur. Je veux que tu partes maintenant. »

« Pas avant de t’avoir  montré quelque chose. »

Je n’insiste pas, je la crois, je la connais cette petite, très déterminée ; quand elle a décidé, elle est tenace et ne lâche rien. 

 « Je comprends ton désir d’écrire ; je me souviens de ma façon d’idolâtrer les écrivains, les histoires, les contes. Ça me rend triste, tes espoirs déçus dans l’écriture. C’est à cause de moi. Si j’avais été moins timide, moins seule, tu n’aurais certainement pas éprouvé ce besoin de prendre la plume ».

Elle pose délicatement sa petite main droite dans ma main gauche. Ses doigts frêles tremblent à mon contact. Nous continuons à marcher jusqu’au petit matin. Nous ne parlons plus, écoutons nos souffles soutenir le rythme de nos pas ; 

Elle s’arrête soudain. Puis, elle murmure : « C’est ici. Ne bouge pas. Ferme les yeux ». Elle me guide encore un peu, puis je comprends que nous sommes arrivées.

J’ouvre les yeux. Je suis seule face à un arbre gigantesque recouvert de mots gravés sur son tronc. Elle a disparu.´C’est l’arbre de mon enfance ; ces traces sur l’écorce sont les miennes. Je lis : 

« L’écriture mon refuge.

Les mots parce que je les aime.

Il va falloir le dire.

Oser l’écrire.

Ici, dans la forêt des lilas les phrases se délient.

Mes pensées s’organisent au fil des arabesques gravées sur l’écorce. 

Merveilleux alphabet de mes secrets, je ne t’oublierai jamais. »

Mes yeux asséchés piquent, coulent. Un seul clignement de l’œil pour me soulager et l’arbre a disparu.

Dans la nuit noire, éclairée par quelques réverbères, je suis seule dans la cour de l’hôtel, entouré de deux buis mal en point, un stylo à la main. Il n’y a plus qu’une chose à faire, remonter dans la chambre et écrire. Plus d’échappatoire possible. 

 

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