« Sueur froide »

Aujourd’hui, c’est Alexandre qui vous propose le récit d’un événement bouleversant. Bonne lecture !

« Sueur froide »

La locomotive s’avance de quelques mètres pour dégager ses wagons du quai et prendre de la vitesse et s’élancer à toute allure au prochain kilomètre.

Les grandes roues suivent aveuglément les rails dont l’écart anormalement serré par endroit, créé au passage des roues un soubresaut, un son métallique que connaît bien ce brave Jules Renard, ancien cheminot, celui du corps qui se laisse tomber du pont ou surgit en folie et sans prévenir des buissons ;

A ses côtés, une femme laide et couverte de cheveux poisseux lui sourit jusqu’aux oreilles et laisse entrevoir le plus beau des râteliers couronnés d’or et d’argent ; Jules se cale bien au fond de son siège et ne veut pas qu’on le remarque, qu’on le regarde ou pire, qu’on le reconnaisse ; il a la trouille.

Depuis plusieurs semaines, il est un habitué des rues, des ponts et des bancs, des escaliers d’églises aux portes cochères de la rue des Francs. De son ancienne vie, il n’en reste presque rien, des couloirs des tribunaux à son bureau de banquier, tout est fini. Jules, sans un sous en poche, recherche chaque jour un point d’eau si petit qu’il soit pour se rafraîchir et au mieux, repère une douche dans un des centres où sont recueillis les gens comme lui.

Aujourd’hui est un événement important, Jules peut voir son fils Maxence à partir de 9h jusqu’à 17h et si tout se passe bien, il pourra le voir plus souvent, il sourit enfin. Son imperméable long en coton gris reste coincé sous les fesses de cette femme endormie qui peine à garder sa tête droite poser contre la fenêtre ; il tire le bout de son manteau délicatement pour ne pas la déranger puis l’arrache d’un coup sec ! Il s’en fout car après tout, ce n’est pas elle qui risque sa vie !

Trois euros cinquante dans la poche intérieure de son manteau, ce n’est pas assez pour faire le trajet, Jules est monté coûte que coûte ; lui flanquer une amende, passe encore, mais l’obliger à rebrousser chemin, jamais de la vie.

A chacune des ouvertures de portes des compartiments, le cœur de Rémi s’écrase un peu plus. Des sueurs froides perlent sur son front, il inspire profondément et agrippe avec force les accoudoirs de son siège et frôle au passage la main potelée de sa voisine.

La porte de son compartiment s’ouvre et résonne pour lui comme une sentence, le couperet tombe, l’hôtesse d’accueil s’avance vers lui :

– « Souhaitez-vous prendre un café ou un thé ? »

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