« Le magasin »

C’est un événement historique que Carole nous raconte aujourd’hui. Bonne lecture de ce récit à l’ambiance inquiétante !

Le magasin

Le bruit de la benne à ordures dans la rue me réveilla. Les yeux fermés, je me retournais dans le lit, en remontant la couette jusqu’à mon cou. Je me sentais très fatiguée, j’avais l’impression de n’avoir dormi qu’une heure. Ma nuit de garde avait été sans répit ; les patients avaient sonné pour un oui et pour un non et je crapahutais de chambre en chambre pour  écouter leurs demandes et les soulager.

J’ouvris les yeux et fixai le réveil ; il était exactement 14h16. Je réalisai que j’étais en retard. J’avais promis à Marine de faire des frites maison pour ce soir ; il fallait absolument que je tienne ma promesse. Je me levai du lit avec beaucoup de peine, j’avais encore le sommeil dans les yeux, et un sentiment de lassitude de ce travail de nuit que je trouvais de plus en plus épuisant.

Dehors, on entendait les poubelles se vider dans la benne à ordures, et les agents se parler très fort comme à  leur habitude. Je me débarbouillai rapidement, et en deux coups de peigne, je retrouvais mon dégradé impeccable. Je fermai la porte de l’appartement et je sortis de l’immeuble.

Nous étions au mois de novembre 1979, il faisait un temps de Toussaint, gris, froid et humide à la fois. Je fis remonter la capuche de mon manteau sur la tête pour me protéger du froid, et portant mon sac en bandoulière, je gardais mes mains à l’abri dans les poches.

J’avançais vers le carrefour de Clignancourt. Les allers et retours réguliers du métro aérien donnaient de l’animation au quartier. Les magasins populaires comme Tati et Discount Market attiraient une population à la fois cosmopolite et populaire. Les touristes, eux, se dirigeaient vers le Sacré-Cœur.

Soudain, j’entendis comme une rafale de coups de feu. Je pris très vite conscience du danger. Je pénétrai dans le premier magasin. C’était un magasin de robes de mariées, dans lequel il y avait très peu de personnes ; une cliente et sa mère ; deux vendeuses et  la responsable. Dès qu’elle me vit entrer, elle prit la mesure de la situation et elle actionna immédiatement le bouton de fermeture.

Les coups de feu continuaient en rafales. Je me sentais en sécurité et, en même temps, j’avais très peur. Puis, on entendit les cris de personnes affolées et le klaxon des voitures. La circulation s’était arrêtée, la sirène des voitures de  police sifflait à tue-tête.  Les coups de feu avaient cessé, pour autant, je n’étais pas rassurée. J’étais effrayée, mais je refusais de le montrer. Je laissai la place pour cela à la mère de la mariée. Elle bafouilla quelques mots et éclata en sanglots. Machinalement, nous nous rassemblâmes auprès d’elle sans mot dire. La future mariée se pavanait encore avec sa robe en dentelle décolletée dans le dos, et ne semblait pas prendre conscience de la situation.

Les deux vendeuses, elles gardaient leur sang-froid. La gérante nous proposa de nous mettre à l’abri dans la remise. Elle ouvrit le claustra pour amener de l’air dans la petite pièce. On entendait de nouveau le vacarme des sirènes des policiers, et la clameur de la foule.

–       « Ça doit être grave ! » nous dit la responsable.

Elle alluma le transistor et chercha la station RTL. Par un flash spécial, Monsieur Ducray, le patron de la police de Paris et le commissaire Brossard de l’antigang, annonçaient la mort de Jacques Mesrine, l’ennemi public numéro 1.

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