« Le dromadaire »

Ce mois-ci, A Mots croisés a pu participer au premier atelier d’écriture proposé au public par le Musée des Arts et Métiers qui présente actuellement une exposition temporaire «Permis de conduire ? » consacrée au devenir de l’automobile.

Ghislaine Tabareau-Desseux a invité les participants à imaginer la rencontre entre un narrateur et une voiture. A noter que le choix de la voiture à intégrer au récit s’est fait par tirage au sort ! Tout comme d’ailleurs, son conducteur dont l’identité et grandes lignes du profil furent également révélées par tirage au sort.

Voici le récit de Carmen. Bonne lecture !

Le dromadaire

Les orages de bord de mer sont toujours impressionnants de violence. Ciel et océan se confondent pour ne plus former qu’un seul élément déchaîné envers le reste du monde. Moi, j’avançais à grand peine le long de la plage, direction le parking où j’avais garé mon 4×4. Le sable soulevé par la force du vent sur la jetée, qui crissait il y a peu sous mes chaussures, se changeait à présent en une pâte collante sous l’effet d’une pluie drue. L’été se muait en furie, je ne cherchais plus à flâner mais à retrouver rapidement mon véhicule pour m’y abriter. Au travers du rideau d’eau, clés en main, j’entrevoyais mon salut au bout de la promenade. La foudre, qui venait de s’abattre sur la capitainerie, m’incitait à accélérer le pas.

Je touchais au but, mais une mauvaise surprise m’attendait. Un goujat m’avait tellement serrée qu’il m’était impossible d’ouvrir ma portière. J’avais eu la place de me glisser entre les deux voitures mais c’était tout. Flûte, ce n’était vraiment pas le moment de subir l’incivilité d’un automobiliste peu respectueux des autres. Et cette pluie qui me ruisselait toujours dessus ! J’étais trempée de la tête aux pieds. Pourtant, quelque chose faisait écho tout au fond de moi. Cette voiture. Cette voiture me barrant le passage réveillait une mémoire endormie. Frôlant quasiment ma carrosserie, une Méhari orange, stationnait dans cette place étroite. Les gouttes d’eau faisaient chanter la capote souple et déjà elles pénétraient dans l’habitacle. Non, mais franchement ce n’était pas le genre de voiture à sortir les jours de tempête ! Mes lunettes embuées ne me donnaient qu’une vision partielle de la personne se trouvant derrière le volant. Homme ? Femme ? Impossible de distinguer sous la force des intempéries. En revanche, ce que je savais est que la Méhari avait été la compagne de mes premières vacances estivales d’adulte. Au bout du troisième passage, Je venais enfin de décrocher mon permis de conduire. Jeune, insouciante, éprise de liberté et de soirées arrosées sur la plage, cette voiture offerte par mon père fut mon passeport pour le passage à la majorité.

Cette Méhari orange sous un orage de juillet, me bouleversait au point de rester là, bêtement sous la pluie, à attendre je ne sais quoi alors que j’aurais pu entrer côté passager. Mais, je préférais caresser le plastique qui chantait sous la pluie. À un moment, je crus même l’entendre me parler. Non, ce n’était que le grondement du tonnerre. Ou, peut-être pas, après tout. Les voitures vivent à leur manière. Et j’imaginais que cette Méhari était MA Méhari. Celle qui avait accompagné mes jours heureux, mes nuits de déprime. Elle revenait d’outre-tombe, car l’un de ces soirs un peu compliqués je l’avais versée dans un ravin, certes peu profond, pour m’en sortir sans trop d’égratignures mais hélas pas elle. La mort dans l’âme, je dus me résoudre à la voir partir pour la casse et, plus jamais depuis lors, je n’avais croisé la route d’une autre Méhari.

L’orage avait cessé aussi vite qu’il avait commencé. Un timide rayon de soleil perçant au travers du gris des nuages mettait fin à ma rêverie en solitaire. Maintenant, il m’était possible de distinguer qui se trouvait derrière le volant. C’était un homme d’une trentaine d’années au look casual chic, simple mais efficace. Il ne semblait pas vouloir se décider à bouger son véhicule. J’attendais, le cœur battant, qu’il veuille bien mettre en marche pour entendre une nouvelle fois la mélodie du moteur. Ressentir toutes ces sensations oubliées depuis si longtemps, j’en espérais de tendres frissons. De longues minutes se passèrent sans que la situation ne bouge. J’entrepris alors de tapoter la bâche encore ruisselante. Rien. J’insistais, il fallait malgré tout que je puisse entrer dans ma propre voiture. L’homme consentit à ouvrir la portière qui grinçait fortement.

  • Bonjour.
  • Bonjour, vous pourriez vous déplacer, je ne peux pas entrer. Vous vous êtes stationné un peu trop serré à ma voiture. Ensuite, si vous le voulez je vous laisserai la place.

       – J’aimerais bien, mais elle refuse obstinément de démarrer. J’ai bien essayé à      de nombreuses reprises, mais rien. Je n’y arrive pas même en utilisant le starter.

Au son de sa voix je pouvais entendre toute sa détresse ainsi que celle de la voiture. A tous les coups, à trop tenter le démarrage, il avait très certainement noyé le moteur. Peu de personnes le savent mais une Méhari, sous ses allures de baroudeuse, est une grande sensible. Ce n’est pas une voiture qu’il faut brusquer. Au contraire, il faut la bichonner, lui parler doucement, presque la caresser du bout des doigts. C’était bien un homme pour vouloir faire les choses vite et mal de surcroît.

– Bon, si vous acceptez de me laisser faire, je vais tâcher de voir si j’y arrive.

Je pus le sentir hésiter face à ma demande. Une femme qui proposait à un homme de dépanner une voiture, la chose était cocasse et pas banale. En principe, il se passait plutôt l’inverse. La surprise passée, il se mit côté passager et me tendit les clefs. Quel choc de me retrouver là. Je touchais le volant, je la dévorais des yeux.

– Regardez et apprenez, lui dis-je.

J’introduisis la clé calmement et attendis un léger déclic, puis délicatement, en douceur je pressais l’accélérateur tout en tournant franchement la clé dans le démarreur. Le moteur tourna au quart de tour. Le ralenti était juste parfait, une horloge suisse. Mon bonheur était total.

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Photos : © P. Fombaron

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