Ce mois-ci, A Mots croisés a pu participer au premier atelier d’écriture proposé au public par le Musée des Arts et Métiers qui présente actuellement une exposition temporaire «Permis de conduire ? » consacrée au devenir de l’automobile.
Ghislaine Tabareau-Desseux a invité les participants à imaginer la rencontre entre un narrateur et une voiture. A noter que le choix de la voiture à intégrer au récit s’est fait par tirage au sort ! Tout comme d’ailleurs, son conducteur dont l’identité et grandes lignes du profil furent également révélées par tirage au sort.
Voici le récit de Patrick, passionné d’écriture et fidèle de l’atelier parisien « Les Carnets du Passage ». Bonne lecture !
Madeleine et la Baleine argentée
En ce 20 juillet, j’avais peiné à trouver une place le long de la plage, il avait fallu que je m’éloigne des hôtels et du casino, avant de garer ma 203 bleu-nuit loin de l’agitation.
C’était la première fois que je mettais les pieds à Cannes et la marche nécessaire pour rejoindre le centre m’ouvrirait l’appétit, c’est en tout cas ce que je pensais, j’étais en avance pour mon rendez-vous. Ma veste retenue par mon index gauche sur l’épaule droite, je savourais une cigarette mentholée, bercé par le doux bruit des grains de sable chahutés par le mouvement de l’eau salée.
Au fur et à mesure que je me rapprochais du Majestic, je voyais qu’un attroupement se faisait de plus en plus dense, quelqu’un essayait manifestement de manœuvrer une voiture décapotée qui prenait de la place.
Je me faufilai entre deux épaules et je pus apercevoir une surface argentée qui reflétait les rayons du soleil et m’adressait un clin d’œil de bienvenue. Elle était immense, cette masse d’argent, je la voyais de derrière et les touristes, instamatic ou reflex à la main la photographiaient sous toutes les coutures. J’ai dû jouer des coudes afin de m’approcher, le conducteur avait pris soin de porter une casquette, le bras droit habillé de blanc posé sur le haut du siège en cuir brun, il maniait ce monstre comme s’il s’agissait d’une simple berline, il prenait à peine le temps de tourner la tête, et pourtant, il maîtrisait parfaitement la manœuvre de la gigantesque voiture.
Cette voiture unique, j’en avais vaguement entendu parler à la radio et une photo avait été insérée dans un Paris Match quelques années auparavant, c’était une baleine argentée, monstre des mers ayant trouvé un pied à terre dans la tête d’un designer parisien dont j’avais oublié le nom.
Un sac féminin, un Gucci, dépassait de la capote, le petit coffre devait contenir le reste des bagages et je supposais que la passagère attendait dans le hall de l’hôtel, tellement la chaleur était étouffante.
Après deux ou trois manœuvres habiles du conducteur, le moteur puissant s’était arrêté de vrombir, et la porte de droite de la baleine s’était ouverte.
Au moment où le bruit du moteur s’était tu, je me ravisai : avec une telle voiture et tout ce monde autour, la passagère serait plutôt restée, profitant de cette gloire fugace.
Le premier choc que je ressentis fut l’apparition d’une jambe surmontant de hauts talons vert malachite, jambe émergeant du côté droit de la baleine, j’avais mis du temps à réaliser qu’il n’y avait pas de portière à gauche : la femme était sortie prestement du cétacé, jupe verte assortie aux chaussures, chemisier en soie blanche, souriante, sac Gucci à l’épaule, une casquette à carreaux verts fins sur sa courte chevelure rousse, les regards des hommes étaient plus qu’admiratifs, chez certains on pouvait deviner de la jalousie, de l’envie, chez d’autres de la moquerie, de l’incompréhension, comment était-ce possible, une fille à papa, sans nul doute, remarque, elle se débrouille plutôt bien, non ?
Le deuxième choc, ce fut quand, après avoir jaugé les personnes qui l’entouraient, elle avait tourné son visage dans ma direction : Madeleine ! Mon cœur fit un bond dans ma poitrine, Elle, c’était bien elle ! Elle était là devant moi, Madeleine Leblond, ma coiffeuse, les cheveux teints en roux. La pétulante brune qui écumait les bals du samedi tout comme moi et que j’avais rencontrée cinq mois plus tôt, elle habitait à deux pas de chez moi. Elle que je devais retrouver dans cette station balnéaire, et que j’allais accompagner tout au long de ce week-end décidé à la va-vite. On ne parvenait plus à se passer l’un de l’autre.
De là à imaginer ce jour-là qu’elle descendrait de ce mythe de voiture…
Très contente de son effet, du haut de son 1m60 surélevé de ses 10 cm verts, elle se dirigea tout sourire vers moi en accentuant son déhanchement, sous les regards médusés des touristes agglutinés autour d’elle.
Nous nous enlaçâmes, faisant fi de la foule curieuse et jalouse, tout à notre joie de nous retrouver, cela faisait 3 jours – 3 jours d’impatience – que nous ne nous étions vus, et, devinant les questions dans mes yeux malgré les lunettes de soleil, Madeleine commença : « Je t’ai bien eu…tu sais, Paul Arzens, le père de la baleine, et ma mère sont cousins, fais pas cette tête, ils se voient une fois par an, parlent courses de voitures, ma mère a fait quelques rallyes dans sa jeunesse, quand je lui ai dit à lui que je voulais te faire une surprise, il n’a pas hésité, il m’a d’abord emmenée place Vendôme, à propos, tu me trouves comment, » elle avait fait un tour complet sur elle-même avant de se retrouver dans mes bras, « puis il nous a montré le joli monstre, ma mère était folle de joie, elle ne tenait pas en place, il m’a fallu quelques jours pour le dompter ce monstre sur le circuit de Charade, qu’est-ce qu’on a rigolé. Tu vois, c’est tout simple, et je suis là, et tu es là. »
Oui, c’est ça, tout simple. Et Madeleine de continuer : « On s’installe à la terrasse du Majestic, ou tu préfères commencer par une promenade à dos de baleine ? »
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Photo © Musée des Arts et Métiers – CNAM / F. Botté
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