Ce mois-ci, A Mots croisés a pu participer au premier atelier d’écriture proposé au public par le Musée des Arts et Métiers qui présente actuellement une exposition temporaire «Permis de conduire ? » consacrée au devenir de l’automobile.
Ghislaine Tabareau-Desseux a invité les participants à imaginer la rencontre entre un narrateur et une voiture. A noter que le choix de la voiture à intégrer au récit s’est fait par tirage au sort ! Tout comme d’ailleurs, son conducteur dont l’identité et grandes lignes du profil furent également révélées par tirage au sort.
Voici le récit d’Annie. Bonne lecture !
Une rencontre improbable
La Ferté-Gaucher, 1er juillet 1960. Nous voilà sur la route des vacances, direction Le Parcher, un hameau minuscule, perché aux fins fonds du Briançonnais. Premier grand voyage à bord de notre superbe Simca.
Ce soir, après dîner, mes parents chargent les bagages. Deux valises en carton hissées et fermement saucissonnées à la galerie en aluminium, à l’aide d’une demie douzaine de sandows. Moi, je n’ai pas le droit de les toucher, encore moins de jouer avec ces drôles d’élastiques qui se terminent par de solides crochets qui peuvent crever les yeux ! Une fois le coffre rempli, mes parents discutent du trajet autour d’un bon café, la carte Michelin bien étalée sur la table de la cuisine. La route va être longue pour mon père, seul conducteur puisque ma mère n’a pas encore le permis de conduire, comme beaucoup de femmes à cette époque.
Je m’allonge sur la banquette arrière. Ma mère m’a préparée un lit douillet. Ni ceinture de sécurité, ni siège enfant dans les années 60. Je m’endors paisiblement.
Sur le coup de sept heures du matin, Maman me réveille, doucement. Nous voilà arrivés à Lyon, place Bellecourt. C’est l’heure du petit-déjeuner. Au menu, café au lait et croissant bien croustillant ! Puis, on reprend la route, toujours à 50-60 à l’heure ! Notre P 60 est encore en rodage ! Il ne faut pas maltraiter le moteur avec d’inutiles accélérations ! Le paysage se déroule lentement, très lentement. Je n’ai de cesse de demander « Quand est-ce qu’on arrive ? » et Maman de me répondre inlassablement « Au bout de la route, ma chérie ! » Dur pour l’enfant de huit ans que je suis, de supporter cette bonne douzaine d’heures de route …
En fin de matinée, pique-nique quelque part dans le massif de la Chartreuse, entre Voiron et Grenoble. Papa doit reprendre des forces pour « entamer » la montagne : Vizille, Bourg d’Oisans. Nous voilà tous prêts pour la longue ascension du col du Lautaret. On remonte tranquillement la Vallée de la Romanche. 25 kilomètres de lacets serrés et de tunnels étroits, plus ou moins éclairés. Au sortir du tunnel des Ardoisières, long de 600 mètres, mon père donne un coup de frein brutal. Les pneus crissent sur le gravier de l’accotement. « Geneviève, regarde ! » crie mon père d’une voix angoissée. Soudain, j’ai peur. Un véhicule gît en contrebas. Une carcasse, ni beige, ni rose. Le moteur ronronne encore. Les phares jaunes sont toujours allumés. Un clignotant n’a de cesse de s’illuminer en cadence comme pour signaler la détresse du conducteur.
Mon père se précipite vers ce qui reste du parapet pulvérisé. « C’est une 4 CV ! » hurle mon père en revenant chercher la corde de remorquage dans le coffre. « Je vais descendre en rappel voir en bas ce qui se passe ! Si une voiture arrive, arrête-la, Geneviève ! Faut prévenir les secours ! »
Je me retrouve seule dans notre voiture. Par la vitre baissée, j’observe mon père descendre vers la carcasse quand un énorme grondement de ferraille monte des entrailles du ravin. Prise de panique, je sors me réfugier dans les bras de ma mère. La 4 CV a glissé pour se rapprocher dangereusement du torrent. Dans son mouvement, le conducteur a dû s’écrouler sur le volant. Maintenant, le klaxon hurle à l’agonie, puis s’éteint abruptement. C’est alors que j’entends la voix de mon père, mon héros, portée par l’écho. « Monsieur ? Répondez-moi ? Sortez… vite ! Accrochez-vous à cette corde ! Non, non, laissez votre sac ! »
« Pas question ! » rétorque une voix puissante. L’ homme saisit son bagage de la main gauche et s’agrippe à la corde de la main droite. Mon père grimpe derrière lui comme un cabri. Arrivés sur la chaussée, les deux hommes sont certes essoufflés, mais incroyablement heureux ! Ils échangent une bonne poignée de mains avant d’allumer une cigarette, bien méritée.
– Patrick Royer ! Merci ! Vous m’avez sauvé la vie !
– Michel Escoffier ! Le hasard fait parfois bien les choses… je suis pompier ! Ne me remerciez pas ! Vous n’êtes pas blessé ?
– Non, juste quelques égratignures !
– Comment c’est arrivé ?
– Le soleil m’a ébloui après le tunnel ! J’ai donné un coup de volant et atterri dans le lit de la Romanche, raconte-il avec le sourire. Pourtant, je la connais par cœur cette route ! Le patron ne va pas être content ! Sa voiture est mal en point…
– Bon, montez ! On vous raccompagne chez vous, c’est où ?
– A Briançon. Si vous pouviez me déposer à la banque…
– Comment cela ? On ne va pas chez vous ?
– Non, je transportais des fonds, surtout des lires. Il en faut beaucoup en cette saison, avec tous les touristes qui veulent faire un petit tour en Italie. Regardez …
Il ouvre son précieux sac où sont entassées des liasses de billets. Je n’ai jamais vu autant de sous de ma vie ! Mes parents non plus, d’ailleurs ! On reprend la route, le rescapé assis à l’avant, alors que Maman prend place à côté de moi. Elle me rassure, mais je reste tout de même chamboulée. Les hommes discutent comme si de rien n’était. Le courant passe immédiatement entre eux, ils découvrent qu’ils ont quasiment le même âge, la quarantaine. Tous les deux mariés, tous les deux père d’une fille de huit ans ! On dirait deux copains d’école ! Rendez-vous est pris dimanche prochain chez Patrick ! Il tient à nous inviter à déjeuner pour nous remercier. Il en profitera pour nous montrer sa collection de modèles réduits, des Dinky Toys, des Solido, des Norev ! Il est amateur de voitures et de camions des années 50 – 60. Comme Papa !
Quelques minutes plus tard, on dépose Roger … Prochain arrêt, le Parcher ! Les vacances vont bientôt commencer !
(C) Photo Musée des Arts et Métiers/Archives Renault
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