Le récit d’Adelaïde va vous étonner … jusqu’au bout ! La chute est particulièrement drôle ! Bonne lecture !
Miroir, mon beau miroir !
Vlad sortit précipitamment de chez lui. La porte claqua et il dévala les escaliers en cherchant son pass Navigo dans la poche élimée de son manteau tout aussi élimé. Il poussa la porte extérieure du pied, enroula son écharpe autour de son cou gracile et jeta un coup d’œil habituel dans la vitrine du magasin de chaussures pour vérifier l’état de ses cheveux.
Après deux pas, Vlad s’arrêta. Il revint se poster devant la vitre sombre. Il voyait bien les arbres derrière lui, la voiture rouge garée, l’immeuble blanc et rose. Mais il ne se voyait pas, lui.
Son cœur rata un battement. Il bougea la tête, agita les bras. Pas un mouvement dans cette vitre. Il porta les doigts sur le verre froid et y déposa l’empreinte de sa main. Mais son visage, sa silhouette n’y étaient pas imprimés. Il plongea sa main au fond de sa poche et tâtonna jusqu’à trouver son téléphone. Rien. Sa tête n’apparaissait pas sur l’écran noir. Il déverrouilla le téléphone, déclencha l’appareil photo et il se vit soudain sur l’écran. Son regard retourna sur la vitrine sombre : toujours rien. Son reflet s’était fait la malle.
***
Vlad traînait son âme avec peine. Depuis plus de dix jours maintenant, il ne se voyait plus. Depuis plus de dix jours, il se sentait lourd sans le poids de son reflet. Il sortait son téléphone toutes les minutes, pour voir son visage, pour se rassurer sur son existence, et pour vérifier que ses cheveux étaient bien en place.
Ce soir-là, en rentrant chez lui, il jeta l’habituel coup d’œil dans la vitrine du magasin de chaussures. Rien n’avait changé. Ou plutôt tout était toujours différent. Alors que sa tête retrouvait son axe, il aperçut au loin une silhouette gracile, couverte d’un manteau élimé et d’une écharpe. Sans réfléchir, il lui courut après.
– Hé ! hé, s’il vous plaît ! Attendez.
Voilà qu’il vouvoyait son propre reflet. Car oui, il en était sûr à présent. C’était bien lui-même en inversé et en deux dimensions qu’il voyait.
La silhouette plate hésita puis résolue se retourna pour lui faire face.
– Je … vous … tu …
Le reflet resta à contempler Vlad silencieusement.
– Pourquoi es-tu parti ?
Son reflet soupira en secouant la tête.
– Tu ne veux plus être mon reflet ?
– Non, Vlad, je n’en ai plus envie.
– Oh ? Mais … mais pourquoi ?
– Parce que Vlad, je suis fatiguée du peu d’attention que tu me portes.
– Comment ça ? Je te regarde tout le temps pourtant, je l’ai bien vu, je me regarde en permanence.
– Oui, tu vérifies que tes cheveux sont bien mis, essentiellement et parfois que l’écharpe tombe bien. Tu ne jettes sur moi qu’un coup d’œil intéressé. Mais tu ne me regardes jamais vraiment. Dans tes yeux je n’existe pas réellement.
Vlad resta scié. Que pouvait-il répondre à ça ? Une larme coula sur la joue de son reflet.
– Tu vois, ça ne t’est même pas venu à l’idée. Et pourtant, c’est grâce à moi que tu te sens exister, être.
– C’est vrai, acquiesça Vlad. Je l’ai bien vu. Je me sers de toi en permanence pour me rassurer.
– Mais est-ce que tu contemples mes yeux verts ? Mes taches de rousseur ? Ma cicatrice dans le cou ? Les rides qui peu à peu prennent place au coin de mes yeux ?
Vlad fixa son reflet. Il détailla sa posture défaite, ses cernes noires, ses cheveux tombants. Et la tristesse lui noua l’estomac. Il avait envie de redonner le sourire à son reflet. Alors il lui tendit la main. Son reflet leva ses yeux vers lui, incertain. Puis, alors que Vlad continuait à soutenir son regard, il saisit les doigts tendus.
***
Vlad sortit précipitamment de chez lui. La porte claqua et il dévala les escaliers. Il était sacrément à la bourre. La faute à son reflet qui l’avait retenu plus longtemps que d’habitude.
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