« Un skieur d’exception »

C’est avec Louise que nous démarrons notre série de récits racontant l’émancipation d’objets. Cette histoire jubilatoire va vous faire plonger dans l’atmosphère de la compétition. Performance surprenante ! Bonne lecture ! 

Un skieur d’exception

​Le matin avant une compétition, Franck se chaussait puis se déchaussait chez lui, selon un rituel auquel il ne dérogeait jamais. D’abord il étalait toutes ses chaussettes, épaisses, chaudes, antitranspirantes et identiques, il les regardait un long moment et revêtait la première paire sur la gauche. Il procédait de même avec sa rangée de chaussures de ski, mais, cette fois, il prenait celles à sa droite. Ce n’était que quand ses pieds finissaient comprimés par cet équipement qu’il allait admirer ses sublimes skis bois de paulownia carbone FloconTurbo 3000.

​Ce jour-là, pour la finale de slalom, il avait commencé à s’habiller selon sa routine mais, quand il se dirigea, déséquilibré par ses chaussures de skis, vers le présentoir où trônaient, le soir même encore, les FloconTurbo 3000, ils avaient disparu !

​Franck se précipita hors de la pièce, il manqua de trébucher et hurla :

​- Au voleur ! On a dérobé mes skis, bois de paulownia carbone FloconTurbo 3000 !

​Franck n’avait pas le temps de trouver le malfrat. Il devait concourir avec ses skis de secours, des pauvres skis d’honteuse facture. Il se rendit à sa compétition tout chamboulé, et, quand vint son tour, il slaloma maladroitement, sous les moqueries des spectateurs. Arrivé en bas, il rejoignit le banc des skieurs qui étaient déjà passés et ne quitta plus des yeux l’écran géant qui affichait le score. Il se trouvait bon dernier. Le nom du prochain compétiteur apparut alors : « Monsieur FloconTurbo 3000, du club alpin des marmottes hardies ! »  Le visage déjà triomphant des skis de Franck remplit l’écran.

​Avant d’entamer leur descente, les skis posèrent les mains sur leurs hanches et bombèrent le torse, faisant reluire leur carbone, puis ils saluèrent, courbant leur bois de paulownia. Au top de départ, ils filèrent si vite entre les piquets que les caméras parvinrent à peine à capturer leur image. Franck bouillonnait de rage en les voyant surgir en bas de la piste, en chair et en os, ou plutôt, en carbone et en bois de paulownia.

​Les skis FloconTurbo 3000, toujours plus fiers, adressèrent un baiser à la foule et vinrent s’asseoir à côté de Franck sans même lui adresser un coup d’œil. Sans surprise, ils atteignaient le haut du classement.

​Franck finit par interpeller ses skis :

​- Comment osez-vous concourir sans moi ? Je vous ordonne de revenir à mes pieds !

​Mais les FloconTurbo ignorèrent ces deux phrases, aussi hurlées furent-elles. Franck saisit ses propres skis et les leur lança dessus.

​Ils haussèrent les épaules, à peine éraflés, et finirent par se tourner vers Franck pour lui dire avec mépris :

– Un skieur n’est rien sans ses skis, mais j’ai prouvé que les skis faisaient très bien sans leur skieur. Sur ce, bon vent !

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Créez un site ou un blog sur WordPress.com

Retour en haut ↑

%d blogueurs aiment cette page :