« Tic-tac obsessionnel »

Lors de notre animation « Je m’inspire d’Aragon », en janvier dernier à la Médiathèque Aragon, nous avions rencontré Hafida qui avait tenté l’écriture. L’expérience lui ayant plu, elle nous a donc rejoint pour le spectacle de Pascal Ruiz à la Maison de la Musique et de la Danse.

Aujourd’hui, c’est avec grand plaisir que nous publions son récit « Sur les traces de Proust et des madeleines ». Bonne lecture ! 

Tic-tac obsessionnel

C’était mon père qui nous réveillait, nous faisait prendre notre petit déjeuner, beurrait nos tartines. Une odeur de beurre frais et de chicorée* embaumaient la maison. Elle bruissait du son de la radio qu’il écoutait beaucoup ou de sa voix qui chantait des chansons en arabe dialectal mêlé de français. Il faisait en sorte que nous soyons à l’heure à l’école.

Une opération cardiaque, grave pour l’époque, qu’il avait subie alors que j’avais trois ans et que mon frère était encore bébé, l’avait rendu très angoissé. Il s’était persuadé qu’il mourrait jeune et ironie de la vie, il a vécu assez vieux. Il craignait toujours que nous soyons en retard.

Je devais avoir huit ans et un matin alors que j’étais sur le chemin de l’école, plus j’avançais plus j’étais étonnée de ne rencontrer aucun enfant ou parents accompagnant leur progéniture ou camarades. Inquiète et craignant d’être en retard, je hâtais le pas, puis me mis à courir. Arrivée devant la grande porte en bois peinte en vert, qui était fermée et ne voyant âme qui vive, je réalisais qu’effectivement, j’étais bel et bien en retard ce qui fut confirmé par l’un des rares passants dans la rue à qui je demandais l’heure. Mon père, en rentrant le soir, était navré de s’être trompé d’heure. Son anxiété, quasi névrotique, nous avait fait partir une heure à l’avance…

Cette anecdote est caractéristique de la personnalité de mon père qui était très aimant, affectueux, très protecteur mais aussi tourmenté et obsédé par la fuite du temps. D’ailleurs, le tic-tac des horloges, pendules et nombreux réveils a ponctué toute mon enfance. Tout au long de sa vie, il amassait des objets et notamment ces instruments qui mesurent, découpent et façonnent ce que l’on appelle le temps.

Il m’a transmis son angoisse face au temps, mais pour le conjurer,  je l’obstrue, l’occulte. J’ai même appris à oublier qu’il existait, surtout par notre faculté à l’entretenir et cristalliser le souvenir, telle la madeleine.

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Boisson typique du nord de la France, devenu pompeusement les Hauts-de-France

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