C’est Laurent D. qui partage avec nous aujourd’hui un délicieux moment de gourmandise ! Bonne lecture !
Rassasié d’illusions
Le ciel se réveille à peine. La lumière croissante bouscule mon âme paresseuse. Mes yeux clignotent encore. Au travers de la vitre, des nappes cotonneuses malmenées par la bise matinale parsèment le ciel. Les premiers rayons peinent encore à percer. Des motifs rosis par leur nuit blanche s’insinuent. L’horizon voilé, découpé par des toits silencieux, s’éclaire. Les tuiles teintées d’orange diffus, luisent. Une silhouette brumeuse tournoie pas si loin d’une antenne aux branches incertaines. Les murs sont toujours couleur nuit. Comme un écran, un pan s’est allumé. L’ombre du feuillage agité d’un platane s’y projette. Le bitume encore humide grelotte. Sur la vitre, une goutte lâche prise.
Ce matin, je suis mal luné. Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. J’ai les traits tirés et mes yeux sont gonflés. Mon cahier est ouvert. Les lignes sont encore endormies. Les mots attendent pour se poser. Mes rêves s’en sont allés. Un rayon de soleil, fier de sa percée, caresse mes joues. Le réel entre en scène ; sur la vitre, se reflète mon visage somnambulique. Mon âme bougonne. Nul doute, il est temps de se remettre d’aplomb. Comment reprendre le chemin des songes ? La réalité me laisse éveillé, sans défense…
Je déglutis ma salive livide et monotone. Quelle absence ! Mon estomac gargouille. Mon palais s’étonne et sonne l’absence. La nuit a été longue, sans rêve… Dans mon sommeil, un autre moi-même s’imagine bien ailleurs.. Mais, je n’ai pas fermé l’œil de la nuit, et mes tourments s’en donnent à cœur joie. Ils ne cessent de chahuter mon esprit. Aucun repos salvateur n’est venu me libérer. Mes ressentiments m’habitent toujours. Ils n’ont pas voulu prendre la fuite. Je suis seul avec ma peine, sans mes songes bienfaiteurs. Le silence est ma seule conseillère. Le stylo, lui, est resté dans sa trousse. Il n’a que faire de mes problèmes. Je n’irai pas en vacances retrouver mon île bienfaitrice. Qu’est-ce que ça peut bien lui faire ? Il n’y a rien à écrire. J’ai beau me le répéter, ma conscience ne l’entend pas de cette oreille. Comment oublier ?
J’ai besoin de reprendre des forces. Mon éveil insipide n’a que trop duré. J’ai besoin de me soulager. Une saveur ensevelie me met l’eau à la bouche. Mes papilles sont réveillées sans nul doute. Je me délecterais bien d’une saveur réconfortante. Au goût du jour, un plaisir enfantin…Humm ! Il me reste de la confiture au réfrigérateur. Un parfum exquis et original à s’en lécher les babines ! Une cuillère de melon d’eau… Humm ! Le pot est déjà bien entamé. Il a déjà dû faire face à de nombreux assauts mélancoliques. Une cuillerée, puis une autre, c’est impossible de s’arrêter. Je crois qu’encore une fois, je vais me laisser faire. C’est mon petit plaisir, bien réel celui-là.
Friand invétéré de ma confiture préférée, je me souviens qu’enfant, j’assistais à sa préparation. La marmite de cuivre bouillonnante délivrait ses vapeurs délicates, et plongé dans une atmosphère sucrée, tiède et rassurante, je m’emplissais les narines des heures durant. Le fruit mijotait…. J’entendais le terroir chantait. Glou glou glou ! Pendant des mois, enfouis dans le sable que la mer avait bien voulu laisser, la sphère végétale avait pris ses sept kilos. Pas si loin des dunes, dans son sol drainé d’alluvions, la chair s’était gorgée du mystère des marais… La cuisson terminée, les fibres étaient écumées puis reposaient enfin dans leurs pots stérilisés ; refuges éphémères à ma gourmandise. Je contemplais la gelée cristallisée, claire nuancée de jaune. J’y distinguais les morceaux confits, amalgamés au zest de citron et salivais patiemment. Puis, venait la dégustation matinale tant attendue, où je n’avais plus qu’à étaler la douceur exquise sur une tartine de pain paillasse grillée… Humm !
Ce matin, l’appel de l’estomac est ma seule fuite. Je lui ai répondu. Sur ma langue, les dés succulents libèrent leurs souvenirs. Je retourne sur les sentiers du littoral, les chemins de mon enfance. C’est l’arôme savoureux de l’île de Ré qui me réveille. Sur ma langue, la délicieuse marmelade raconte… Le tournoiement incessant des mouches autour du varech en décomposition, le choc brutal des puces de mer contre les rochers, le clapotis du goéland argenté dans la vase, l’atterrissage de l’huitrier sur les coquilles de nacre, le frémissement du galet frotté par un lézard vert…. C’est déjà ma dernière cuillère. Le pot est terminé. Quel délice ! Je savoure les derniers instants, l’œillet des sables qui gesticule, l’immortelle sur sa dune qui fléchit, et l’oyat qui fouette les mollets qui passent. En arrière-goût, il me reste la rose trémière qui caresse son mur de pierre. L’été, la palette ensoleillée cherche l’ombre du cyprès. Les volets verts des maisonnettes sont entrebâillés. Moi, à l’intérieur, j’ouvrirais certainement mon deuxième pot…
La vitre me renvoie un sourire. Mon cahier est ouvert. Je lui dis ceci. Rassasié d’illusions, je frissonne enfin…
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