Pour ce nouveau récit « Sur les traces de Marcel Proust et des Madeleine », Carmen vous entraîne dans son passé. Retrouvailles avec un objet, mais pas que. Bonne lecture !
Une marque indélébile
Jamais je n’avais imaginé qu’un après-midi d’avril, je me retrouverais à vider méthodiquement l’appartement de ma mère. L’affaire était entendue, elle ne reviendrait plus dans ces lieux où elle avait élevé ses quatre enfants. De son existence passée, ne restait qu’un amas de vieux livres, bibelots, vêtements parfois à peine portés.
Dans un coin de ce qui fut la chambre de mes parents, traînait une vieille armoire renfermant quasiment l’histoire de toute une vie familiale. Une vie simple, modeste et aux piles de linge bien repassés. Sur la dernière étagère, mon regard venait d’être attiré par un coffret de bois joliment ouvragé. Néanmoins, les années avaient fait leur œuvre, car je manquais de le briser sous mes doigts malgré toutes les précautions que je pris. Il ne me rappelait rien cet objet intriguant. L’avais-je déjà vu et oublié ? Rien n’était moins sûr. Je m’octroyais une pause. Je cessais donc mon triste travail pour entreprendre de découvrir ce qui pouvait bien se cacher à l’intérieur de cette boîte mystérieuse. Mais quel secret pouvait-il bien renfermer ? L’ouvrir ne fut pas compliqué, un peu comme s’il n’attendait que ça. Un seul objet s’y trouvait. Mais pas n’importe quel objet. Je reçus une émotion en plein cœur. Une vague qui le fit battre à tout rompre. Je venais de découvrir le vaporisateur en cristal de ma grand-mère. Celui qui ne la quittait jamais. Le destin est une bête curieuse qui se plaît à vous enlever quelque chose pour aussitôt vous en redonner une autre. Certes son état n’était pas vraiment brillant, le verre s’était teinté, la poire partiellement fendue et la résille presque toute déchirée. Mais avant toute chose c’était le sien, surgit comme par magie, revenu dans ma vie d’aujourd’hui. Ce que j’ai pu l’aimer moi aussi cet atomiseur défraîchi. Il est dans mes mains comme il fut autrefois dans les siennes. Mes yeux s’embuent, je pleure sur les souvenirs d’une vie disparue, cette vie qui fut la mienne
Retour sur image. J’ai cinq ans et il me plaît de venir dans la chambre de mon abuela. Elle est assise sur son lit, belle, plantureuse, autoritaire. De sa main droite, elle tient son précieux vaporisateur et d’un geste bien dosé envoie sur son décolleté une brume de « Cuir de Russie ». Puissante fragrance aux notes boisées, entêtantes. Mais moi je l’aime par-dessus tout ce parfum, car il est elle. Abuela distille ensuite dans toute la maison, un voile parfumé.
En revanche, elle m’interdit formellement d’y toucher. Mais peut-on obéir à cinq ans ? Seulement voilà, l’attrait est bien plus fort que toutes les interdictions du monde. Un soir, je monte telle une souris à l’étage, sans bruit je me glisse dans la chambre. Là devant moi, posé sur la commode, l’objet de mes envies. Pour l’attraper, je me grandis en me hissant sur la pointe des pieds. Patatras, je ripe sur le parquet ciré de la veille, mon menton frappe un coin du meuble. Je saigne abondamment et mes hurlements attirent toute la famille réunie au rez-de-chaussée après le dîner. On vient à mon secours et après avoir un pansement, je suis grondée pour mes bêtises. Mais, ma détresse émeut ma grand-mère, qui pour me consoler me vaporise dans le cou un peu de son parfum. Malgré la douleur, je suis heureuse, car, à cet instant, j’ai tout ce que désire le plus au monde.
Aujourd’hui, je peux toujours la toucher cette cicatrice héritée ce soir-là. Une madeleine indélébile gravée sur mon corps à tout jamais.
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