« Le comprimé de Guronsan »

Prêt à démarrer la lecture de nos récits de nuits blanches ? Voici celui de Carole, une insomnie rythmée par des cauchemars et des moments plus drôles. Bonne lecture !

Le comprimé de Guronsan

Ce soir-là, je m’étais couchée plus tôt, vers 21 h 30. Je voulais dormir suffisamment pour ma soutenance de thèse du lendemain. Bien que je m’y fusse bien préparée, cette échéance me rendait un peu nerveuse. Je savais pourtant que mon sujet intéressait la sphère du cinéma, mais quand bien même. Mon sujet, « Le suspense  dans la cinématographie d’Alfred Hitchcock » avait plu au directeur des « Cahiers du Cinéma », et de ce fait, nous nous étions rencontrés. Il m’avait adressé une proposition ferme de collaboration bien avant ma soutenance. J’en étais fière.

J’entamais l’avant-dernier chapitre de mon livre, lorsque je tournais la tête vers la fenêtre. Pas une lueur du dehors ne traversait les rideaux occultants, iI faisait une nuit noire dans la chambre. Je pivotais sur le flanc pour regarder l’heure. Le réveil affichait trois heures trente-trois.

– Je n’aurais pas dû prendre ce comprimé de Guronsan cet après-midi : il continue à faire effet, pensais-je.

Je posais le livre sur la table et je me retournais dans le lit, bien décidée à m’endormir.

– Allons, Valérie ! Ce petit comprimé ne te mènera pas la vie dure ! Voyons ! Il faut t’endormir !

Je me dis qu’une petite séance de méditation m’aiderait à trouver le sommeil. Alors, je démarrais, par des séries d’inspirations et d’expirations profondes. J’inspirais sur 1, 2, 3 temps, puis bloquais ma respiration, puis j’expirais 1, 2, 3, 4, 5, 6 pour vider entièrement l’air de mes poumons. Je sentais l’air froid pénétrer mes organes respiratoires et ressortir par mes narines à une température plus élevée.

A force, ces va-et-vient d’oxygène avaient un effet bienfaisant. Ma tête ne pensait plus à rien. Je portais ensuite mon attention sur mon pied droit, puis sur le gauche.  Mes orteils semblaient s’étirer vers le plafond, tandis que mes talons s’enfonçaient dans le matelas. Je perdais progressivement la sensation de mes pieds, à la place, j’avais l’impression de deux plumes d’oies qui bougeaient au gré du vent. Cette sensation un peu effrayante au début, devint progressivement agréable. Ensuite, je m’intéressais à mes jambes. Je les sentais s’étirer, s’étirer, jusqu’à se transformer en deux fils de coton, à la fois doux et résistants. Puis, je me concentrais sur mes cuisses, l’une après l’autre. Je les sentais s’enfoncer dans mon matelas Epeda. J’arrivais ainsi  jusqu’à mes épaules, sans que rien ne se passe.

– Je n’y arriverai pas, pensais-je.

Cette situation m’agaçait. Je décidais d’arrêter. Je me levais et ouvrais la fenêtre en grand pour prendre  un bol d’air. Mauvaise idée : l’air froid du dehors fouetta mon visage et me réveilla davantage. 

Dépitée, je retournais dans mon lit, remontais la couverture jusqu’à mes épaules. Je pensais à  cette soutenance et des questions me venaient à l’esprit.

– Serai-je à la hauteur?

– Et mes parents qui viennent de Limoges, qu’en penseront-ils ?

– Et si cela se passe mal, est-ce que la proposition des « Cahiers du cinéma » tiendra toujours ?

– Et si …Valérie ?

Puis je me réveillai en sursaut.

– Que se passe-t-il ? Quelle heure est-il ?

Je restais immobile un court instant sur mon lit, pour éviter le tournis que j’ai lorsque je me lève brusquement.

– Tous ces rats qui me rongeaient les orteils, ce n’était qu’un affreux cauchemar ! Tout va bien Valérie !

J’entendis la chasse d’eau de l’appartement du dessus.

– Il doit être 5 h 05.

Je le vérifiais sur mon réveil.

– Exact ! Ce cher Monsieur Chevalier définitivement un homme ponctuel ! pensais-je.

Je me levais, marchais jusqu’à la cuisine pour mettre la cafetière en marche. Je portais si vite la tasse à la bouche qu’elle me brûla. Je pestais vertement contre moi-même et  mouillais généreusement mes lèvres à l’eau du robinet de l’évier pour arrêter le feu. Je voulus prendre une douche. Impossible. Le chauffe-eau avait un problème. Je fulminais contre cet appareil qui me rendait la vie dure.

Il était 06h18 lorsque je terminais de me préparer. Il était évidemment trop tôt pour partir, alors je décidais de patienter sur mon canapé. Je me sentais un peu anxieuse ; pour m’occuper, je me mis à énoncer ma présentation : ma problématique, mon plan détaillé, allant  jusqu’à imaginer des questions qui pourraient m’ être posées.

A  force, je fus prise de vertiges. Je voyais flou. Je vis apparaître devant moi, James  Stewart terrifié par des vertiges dans « Sueurs froides »*. J’en fus troublée.

– Tu dois trouver une solution,.. te calmer Valerie ! me disais-je.

C’est ainsi que je démarrais une série de pensées positives à haute voix.

– Je suis détendue…. Je me sens détendue…..Je suis détendue. Je me sens  …..

Après plusieurs répétitions, je sentis la fatigue m’envahir de nouveau.

Alors, je me frottais vigoureusement le visage pour me réveiller. J’ouvris la porte de la salle de bain et débouchai le flacon de Guronsan.

*« Sueurs froides » *, souvent désigné sous son titre original « Vertigo 1 », est un film américain réalisé par Alfred Hitchcock, sorti en 1958.

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