Démarrons notre série de récits « Un lieu, une ambiance, une rencontre » avec celui de Carmen. Nous retrouvons, avec plaisir, un personnage, présent dans des histoires précédentes, auquel nous étions attachés sans savoir à quoi il ressemblait. Là, il apparaît et en plus à un moment où on ne l’attend pas. Bonne lecture !
Le retour
Pas si facile d’écrire dans un café. Celui de la Mairie qui aurait aussi bien pu s’appeler Café du Marché, n’échappe pas à cette règle. La vapeur du percolateur rend l’atmosphère moite, les portes battantes des toilettes grincent et des courants d’air traversent la salle à chaque entrée et sortie des clients. Il est dans son jus avec son carrelage blanc teinté d’un bleu délavé, d’un éclairage vintage et de tables à la patine brune. Mais pourtant c’est un lieu étonnant de modernité par son côté lounge, intime, chaleureux. Sur les murs, une galerie de clichés cinématographiques représente d’anciennes gloires du 7ème art d’avant et d’après-guerre. Des vedettes françaises et d’outre-atlantique se côtoient en toute simplicité. Gaby Morlay, François Truffaut, W.C. Fields ou bien encore Lee Van Cleef.
Aujourd’hui, c’est le mardi 15 décembre et la pendule au-dessus du comptoir indique 17h30. La plupart des clients entrent se mettre à l’abri du froid. Dehors, il tombe un je-ne-sais-quoi-glacé qui se jette sur les épaules des passants, les obligeant à remonter le col des manteaux, à enfoncer un peu plus les bonnets sur les oreilles, à réajuster les gants de laine.
J’aime observer les gens entrant dans ce lieu. Il y a les immédiatement réchauffés se frottant alors les mains, ceux qui essuient la buée de leurs lunettes, mais la plupart cherchent surtout quelqu’un du regard.
Il est maintenant 18 heures passées, beaucoup commencent à délaisser les boissons chaudes pour des consommations de début de soirée.
Le serveur d’âge mûr, 45/50 ans, circule de client en client. Tous veulent être servis rapidement. De son visage impassible, buriné tel un marin au long court, il indique d’un hochement de la tête les emplacements disponibles à ceux souhaitant s’attabler. Le patron du bar quant à lui reste derrière son zinc à préparer les commandes. Il est évident qu’avec son petit air supérieur, il est le boss.
Et puis, il y a aussi cette femme, mystérieuse, vieillie avant l’heure, toujours assise à cette table dont le bois trahit une longue utilisation. Elle se tient là, un peu à l’avant-poste d’un lieu fixe qu’elle semble surveiller. De sa position stratégique, elle guette les allers et venues des gens. Chaque fois que je viens au café, je peux la voir, immobile, le regard dans le vague, ses mains enserrant un verre de bière. Je pourrais jurer qu’elle est là de l’ouverture à la fermeture de l’établissement.
Un homme entre. En apparence, semblable aux autres dans ce bistrot mais je ne peux m’empêcher de penser qu’il est néanmoins différent avec son costume défraîchi, ses chaussures de cuir noir usé, sa sacoche démodée. Il est grand, sec, les yeux bleus perçants, le visage long et le nez aquilin. Au loin, l’église Saint-Hermeland sonne 19 heures. Son regard croise celui du patron qui esquisse un léger sourire. « C’est toi Paulo ? Tu es enfin dehors. Vingt ans, ça fait un sacré bail tout de même. Tiens, pour fêter ton retour, je t’offre ton premier verre. Vas-y, je te l’apporte, vas voir là-bas. Elle t’attend. » L’homme ne bronche toujours pas, mais le remercie en opinant du chef.
Il regarde de tous les côtés et finit par trouver mon inconnue, qui, à son tour, l’aperçoit. Un imperceptible tremblement parcourt son corps. C’est lui qu’elle espère ainsi chaque jour. Paulo s’avance le pas décidé, elle se lève. Un homme, une femme, l’amour. Elle lui prend les mains, pose sa tête contre sa poitrine. Dans un souffle, j’arrive à entendre « Viens, rentrons à la maison. »
A cet instant, je ne le sais pas encore, mais jamais elle ne reviendra au café de la mairie.
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