Nouveau récit signé Nathalie qui vous donne rendez-vous dans un café ! Bonne lecture !
Le Chiquito
Le Chiquito est basé au 85 rue de la République, à l’angle avec l’avenue Verdier. Ce 28 novembre 1985 est pluvieux, il est dix-huit heures. La nuit est tombée depuis une heure. Je m’installe à la première table près de la porte.
Dehors, les silhouettes sont emmitouflées, le parapluie en main. Je ne distingue pas les visages, ce ne sont que des ombres. Je m’enfonce sur la banquette en skaï rouge. Les murs sont jaunis par le tabac. D’ailleurs, je sors une cigarette et cherche mon briquet. Mais, il a dû tomber de ma poche.
Le barman toujours aussi peu souriant pose ma tasse de café crème et en renverse dans la soucoupe. Je lui demande s’il a des allumettes. Sa réponse est : « On n’est pas marchand de tabac ». Celui-là n’est vraiment pas aimable. Ce café est très fréquenté et ils n’ont pas besoin d’attirer la clientèle. Je me retrouve désemparé et à la fois énervé de ne pas lui avoir répondu sur le même ton, du tac au tac : « Je ne bois pas dans une soucoupe ! »
Je range ma cigarette en me laissant happer par l’ambiance. Du fond du café retentissent les tilts du flipper. Le jeune homme est habillé tel le sosie de Renaud : blouson de cuir, santiags et bandanas rouge. Une jeune fille le mire du coin de l’œil. Je m’aperçois que Renaud « bis » en fait autant.
Un homme costume cravate, élégant rentre dans le Chiquito. Son parapluie dégouline et ses mocassins à glands en peau retournée sont trempés. Nous devons avoir à peu près le même âge mais sommes de style vestimentaire opposé. Je suis en jean baskets.
Une chose m’interpelle, il s’est assis à la table à côté de moi et il retire son alliance pour la mettre dans la poche de sa chemise. Je parierai qu’il ne va pas rester seul longtemps dans le café. Pour le moment, mon esprit vogue vers toutes les tables. Le jukebox passe « Débranche » de France Gall et mon pied gauche tape la mesure. Des volutes de cigarettes envahissent le bar.
Une femme rentre. Sous son manteau, elle porte un tailleur saumon. Mon voisin s’illumine. De dos, elle est grande et je n’aperçois pas bien son visage. J’aimerais bien voir si elle est aussi ravie de le rencontrer. Tout à coup, elle me fait face et je reconnais mon amour des années collège.
Je me lève et me dirige vers elle :
-« Elsa, Elsa ! »
Je vois qu’elle est interrogative.
-« C’est Philippe. »
-« Philippe ? »
– « Oui ! Philippe Decours ! »
Elle scrute mon crâne dégarni, et là je me rends compte que je n’ai pas l’aura du bellâtre.
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