Aujourd’hui, Carole vous déroule une histoire au tempo maîtrisé. Savourez cette lenteur, si rare dans notre monde tourbillonnant !
Bonne lecture !
« Le renoncement »
Il profita du départ de sa femme à la cuisine pour se resservir. La bouteille était presque vide, mais à vue d’œil, il restait de quoi remplir un petit verre. Il la prit en pleine main, la souleva de sa main gauche, ses quatre doigts l’enveloppaient au-dessus, tandis que son pouce soutenait la bouteille par le bas. Il leva son coude à environ vingt degrés, et les quelques centilitres de vin atterrissaient dans son verre tulipe. Aussitôt le verre s’habilla d’une couleur rouge bordeaux. Son pied montant mettait en valeur cette teinte écarlate et opaque. L’odeur boisée du vin parfumait son palais. Il reposa la bouteille sur la table et porta le verre à sa bouche. Il prenait bon plaisir. Le vin n’était certes plus à bonne température, mais sa texture soyeuse et ronde en bouche restait acceptable. Il s’adossa à sa chaise, défit sa cravate et retroussa ses manches.
C’était le meilleur moment de la journée pour lui. Il regarda par la fenêtre, Il faisait une nuit claire, la lune était pleine. Il se passa les mains dans les cheveux. C’est le bon moment, pensa-t-il. Il avait pris sa décision, il avait mûrement réfléchi, il fallait qu’il le dise à sa femme. Justine sera surprise, se disait-il, mais je n’ai pas le choix.
Tous les ans, au mois d’octobre, sa belle-famille se retrouve dans la forêt de Mayenne pour une partie de chasse à courre. Je comprends que tuer les animaux est une activité récréative et amusante pour eux, mais moi, je ne suis pas d’accord. Je trouve ce geste barbare et cruel. Je ne les accompagnerai plus. Prendre son arme et tirer sur une belle biche ou un gros sanglier et se réjouir qu’une vingtaine de chiens la déchiquète et la dévore. C’est horrible ! Inacceptable ! Parfois les chiens traînent l’animal au sol jusqu’à l’agonie et le dépècent avec leurs crocs comme des affamés. C’est affreux ! Et eux qui regardent et s’en amusent.
Ce n’est plus possible pour moi, je ne veux plus voir ces bêtes par terre se débattre de douleurs et espérer un secours qui ne viendra jamais. Je ne supporte plus de voir la chair mutilée de ces pauvres bêtes. Quant à cette odeur de sang et de cadavre qui me fait vomir. Oui ! J’ai participé à ces tueries pendant des années. Parfaitement. Mais aujourd’hui, je ne les supporte plus !
Ces biches, ces cerfs, ces sangliers ne m’ont rien fait !
J’y renonce ! Je remettrai ma licence et je jetterai mon arme. Je devine la réaction d’Eléonore et Icaques, mes beaux-parents, lorsque Justine leur annoncera la nouvelle. Ils me snoberont, j’en suis sûr, ou alors ils n’accepteront pas du tout ma décision ; et ça sera la guerre. Oui ! la guerre ! Et cet imbécile de Gaspard qui ne comprend rien à rien. Je le vois être bien moqueur comme à son habitude. Alors ?! On ne touche plus aux bêtes du Bon Dieu ? Celui-là alors, quel crétin ! Tant pis ! Je les ai accompagnés pendant plus de vingt ans à toutes les battues mais aujourd’hui cela ne m’amuse plus.Oui ! That’s enough ! Oui, Messieurs ! Je retourne ma veste ! J’ai changé. Tout ceci me dégoûte.
Je ne souhaite plus toucher aux animaux. C’est ma décision.
Lorsque Justine arriva de la cuisine, la tarte en main, il la laissa s’asseoir. Elle la découpa et lui servit une bonne part. Il aurait espéré qu’elle le comprenne, mais c’était peine perdue. Les traditions familiales sont pour elle sacrées. Il la regarda dans le blanc des yeux, prit une inspiration, et démarra.
– « Justine …Tu sais… Seuls les imbéciles ne changent pas d’avis… »
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