Dernier récit de la série « Bardadrac ». Il a été imaginé par Annie. Elle va vous transporter à une autre époque et laisser apparaître progressivement son personnage en filigrane. Bonne lecture !
STOP
Il y avait là un bureau, tout en bois clair, avec une machine à écrire Remington trônant en plein milieu. D’un côté, trois bacs métalliques bien étiquetés pour trier et accueillir devis, factures, bons de livraison. De l’autre, un stylo plume, un encrier, quelques crayons bien affûtés, soigneusement disposés dans un plumier rectangulaire en verre moulé. Posée devant, une paire de lunettes, rondes, en écaille. Juste à côté un service à fumeur rassemblant pot à cigarettes, briquet de table, support de boîte d’allumettes et un cendrier, rempli de mégots en papier maïs. Derrière le bureau, un fauteuil en cuir, aux accoudoirs élimés, une bibliothèque pleine de boîtes, de classeurs alignés par ordre chronologique depuis 1949, des piles de catalogues d’échantillons, des dictionnaires, une encyclopédie du XXe siècle en 12 volumes. Le mur face à la fenêtre était tapissé d’affiches rappelant aussi bien le temps passé que le travail accompli. Les gros titres en capitales, bien grasses, annonçaient enfin de bonnes nouvelles : «Récupération des masques à gaz », « Attribution de sucre aux économiquement faibles », « Bons de gaz ou de charbon aux familles nombreuses », la star étant celle du prochain « Bal du 14 juillet » !
Sur le mur de la porte d’entrée, un éphéméride indiquait encore « Lundi 13 juin 1957». A sa droite, un objet à la fois rare et précieux : un téléphone mural à cadran en bakélite noire. Dans l’angle, un porte-manteau perroquet avec un pied serti vers sa base d’un anneau destiné à recueillir les parapluies. Accrochés à la coiffe en bois courbé, il y avait un béret pour l’atelier, un feutre pour les rendez-vous d’affaires, deux blouses grises et une chemise hawaïenne d’un autre âge, souvenir d’un voyage sous les Tropiques.
La sonnerie du téléphone retentit. Après un temps d’hésitation, je décrochais le combiné.
« Wagram 15.80, j’écoute ! »
Mon interlocuteur, très volubile, se mit à déverser un flot d’informations dans un jargon tout à fait incompréhensible pour moi qui suis soldat dans la Marine, bien loin d’ici, dans les îles. L’homme au bout du fil était pressé. Très pressé.
« Victor, prenez du couché ! Pour la compo, au fer à gauche, bien sûr ! Vous savez, Victor, que je préfère tout en Garamond ! Victor, vous me connaissez… Je vous fais confiance, Victor ! On est bien d’accord ! Je passe dans deux jours. Faites pour le mieux, comme d’habitude ! Vous êtes mon sauveur, Victor ! Merci, Victor ! Victor… »
Je sentais l’homme de plus en plus inquiet sur sa commande. S’il savait seulement… Non, il ne savait visiblement pas. Comment lui dire … Stooooop !!!
« C’est Monsieur… ? »
« Mais, oui, Victor, c’est Monsieur Germain ! », me répondit-il, sur un ton à la fois vexé et impatient.
« Excusez-moi, Monsieur Germain. C’est Édouard, le frère de Victor. Je suis désolé, mais… »
« Passez-moi Victor ! », m’ordonna-t-il sèchement, en haussant le ton.
« Je ne peux pas… Il est décédé… lundi dernier… d’une congestion cérébrale. »
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