Retrouvons aujourd’hui l’univers de Carmen qui, tout au long des ateliers de la saison, nous ouvre les portes d’un monde très fermé ! On ne vous en dit pas plus ! Bonne lecture !
La chambre
10 m2. Pas un de plus. Un refuge, non un logement. Il y avait là un lit en fer juste assez grand pour n’accueillir qu’une seule personne. Les draps de coton, peu changés au vu de leur teinte grisâtre, étaient néanmoins bien tirés. Un vrai lit au carré. La table de chevet bancale était encombrée d’une petite lampe éclairant à peine, à côté de deux piles de lettres. L’une ouverte et l’autre non. Sous les piles, un grand cahier aux coins cornés laissait dépasser de vieilles coupures de journaux. Sur le mur d’en face, une antique penderie de toile à la fermeture éclair abîmée par des années d’usage intensif. A l’intérieur une garde-robe exclusivement masculine. Si les vêtements étaient bien rangés, l’ensemble donnait un sentiment de vieilles fringues défraîchies. Au-dessus du lavabo encombré de vaisselle sale et puante, une armoire à pharmacie aux glaces piquées. A l’intérieur, un méli-mélo de produits d’entretien, d’hygiène et de médicaments en tout genre.
La chambre sentait le renfermé, la nourriture laissée à l’air libre et le tabac froid. Le cendrier en verre passablement ébréché regorgeait de mégots. Certains à moitié fumés, et d’autres consumés jusqu’au filtre. Au milieu, une table branlante et deux chaises. La table était encombrée de tasses avec des traces de café soluble ou de vin rouge. Les chaises au cannage délabré ne demandaient qu’à rendre l’âme. L’ensemble semblait sortir tout droit des encombrants.
Posés un peu n’importe où, des paquets de cigarettes parfois vides, parfois à peine entamés. Et dans un recoin du logement, un empilement de cadavres de bouteilles d’alcool attendant que l’on veuille bien les emporter jusqu’au container de recyclage.
Et sous la fenêtre aux vitres si sales que l’on peine à voir à travers, deux marionnettes à fils étonnaient dans cette ambiance sinistre et triste à pleurer. Leurs visages faits de carton bouilli souriaient largement. Leurs costumes bigarrés, une touche de couleur dans le gris des jours.
Un bruit de chasse d’eau se fit entendre dans le couloir où le parquet largement usé par les nombreux passages, craquait de toute part. Puis, la porte de la chambre s’ouvrit pour laisser entrer son occupant. Sa maigre et longue silhouette aux épaules voûtées tendait à le faire paraître plus âgé qu’il ne l’était dans la réalité. Une cigarette se consumait lentement entre ses lèvres minces. Il tira une bouffée et geste machinal, il l’a pris avec le pouce et l’index. Des volutes de fumée bleue se dispersèrent dans la chambre, des cendres tombèrent sur le sol crasseux. Un juron de colère siffla sans desserrer les dents. Puis, tirant une dernière fois sur sa Marlboro, il l’écrasa sans pitié dans le cendrier déjà bien débordant.
Ici, il ne sentait pas à l’étroit. Au contraire, plus vaste, il serait perdu dans tout cet espace. Des années dans une cellule de prison finirent par rétrécir sa vision du monde. Plus son univers était petit, plus il se sentait en sécurité.
Pour chasser l’odeur de tabac, il ouvrit la fenêtre donnant sur une cour profonde et sans soleil. La lumière peinait à pénétrer dans ce qui ressemblait à un puit sans fond. Seuls, les bruits des autres résidents du modeste meublé parvenaient jusqu’à lui. Modeste pour ne pas le qualifier d’hôtel miteux. De toute manière, c’est tout ce qu’il pouvait s’offrir avec ses faibles ressources. Alors, il ne lui aurait servi à rien de faire le difficile. Et pour un homme habitué à des barreaux, s’accouder à une fenêtre avait un goût de grand luxe. Le froid commençait à se faire vif et il la referma bien vite. Il tira les voilages autrefois blancs.
Il s’assit sur son lit. Dans sa main gauche, une tasse remplie de rouge. Aucun verre de propre et la flemme d’en laver un. Il but bruyamment le vin qui fait tout oublier. L’air un peu perdu dans de noires pensées, il regardait les deux piles de lettres posées sur le cahier de la mémoire. Là où il avait compilé avec minutie tout ce que la presse avait publié sur l’affaire. Moche son histoire. Il n’était pas un saint, ça il l’avait toujours su. Mais il n’était pas pour autant un monstre comme on s’était plu à le qualifier. Il avait surtout joué de malchance et d’autres en avaient payé le prix fort. Et puis, il y avait la fameuse loi du milieu, à respecter quoi qu’il vous arrive. Pas de poucave, sinon il vous en coûte. De toute manière, tout était fini, sa dette réglée à la société, il ne lui restait qu’à vivre les dernières années de sa vie le plus tranquillement possible.
Et ces lettres non ouvertes, aurait-il le courage de le faire un de ces jours. Il avait renoncé depuis longtemps à les ouvrir. Chaque fois, un crève-cœur. Ce n’était plus supportable de lire ces lignes écrites d’une main féminine. Pour autant, il ne pouvait envisager une seule minute de s’en séparer. Par moment, il en prenait une entre ses gros doigts jaunis par la nicotine et mimait le geste pour la décacheter. Mais non, ce ne sera pas encore pour cette fois-ci. Immanquablement il la replaçait n’importe où dans la pile, si bien que les lettres étaient toutes dans le désordre. Le courage finissait toujours par lui manquer.
Il avait bien trop bu ce soir, bien plus que d’habitude. Et il avait l’alcool triste. Pas méchant, juste triste à faire pleurer un colosse. Et, ces soirs de spleen, s’échappaient de ses yeux clairs, des larmes douloureuses et elles se mêlaient aux cendres des cigarettes mortes sur le plancher.
S’essuyant le visage d’un revers de manche, il jeta son regard vers les deux marionnettes à fils qui ne disaient rien, bien posées dans leur coin. Il les avait créés de ses propres mains tout comme les jolis oiseaux de papier blanc. Le large sourire de leur figure en carton bouilli n’avait jamais éclairé le sien. Ce soir, il avait le sentiment qu’elles vivaient leur propre existence, qu’elles le regardaient avec une telle insistance comme pour l’interpeller. Il prit celle qui lui ressemblait en manipulant les fils. Le pantin s’anima comme par magie. Un semblant de vie existait désormais dans cette pièce à l’allure de chambre funéraire. Un pas, et un second. Il n’était plus seul, des couleurs peignaient les murs ternes. L’homme mutique ouvrit la bouche.
« Bonjour, je m’appelle Gérard et toi ? »
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