« Ma chère langue »

C’est Francine qui vous propose aujourd’hui une histoire étonnante et… convaincante. Bonne lecture ! 

•Ma chère langue

•En se levant après une bonne nuit, Anatole a l’esprit embrouillé, comme son estomac, il a faim. Il s’étire, saute de son lit et enfile rapidement son gilet lie-de-vin sur son pyjama couleur jaune paille. Il sort de sa petite chambre et descend quatre à quatre l’escalier en bois. Il s’engouffre en courant dans la cuisine baignée du soleil de ce beau matin d’avril. Le vieux carrelage froid sous ses pieds nus finit de le réveiller. Comme tous les matins, sa mère, devant la cuisinière, prépare son chocolat chaud tout en sifflotant. L’odeur des brioches sorties du four depuis peu, embaume l’air. Elles trônent dans une assiette en porcelaine de Limoges blanche, au milieu de la table.

•Ce qui l’étonne, c’est que le sifflement sortant de la bouche de sa mamouchka ressemble au gazouillis d’un oiseau. D’habitude, elle chantonne son air préféré de Carmen : « Si tu ne m’aimes pas, je t’aime. Si je t’aime, prends garde à toi ! »  Elle se retourne et lui parle, mais il ne comprend rien à ses paroles. Derrière la porte donnant sur le jardin, quelqu’un gratte et demande avec insistance « ouvre-moi, ouvre-moi ». Désorienté, Anatole regarde tour à tour sa mère et la porte d’où proviennent les suppliques. Il s’avance vers la porte, tourne la poignée et ouvre, Zarby, son magnifique berger allemand, entre en courant. Les deux pattes avant sur la table, il regarde l’assiette « Donne-moi de la brioche, donne-moi ». Puis, il lui saute dessus, heureux de le voir « Tu viens jouer, tu viens jouer à la balle dans le jardin ». Les sons émis par sa mère ressemblent à un charabia, mélange de langues étrangères et cafouillis animal. Affolé, Anatole fuit dans la bibliothèque familiale, referme la porte derrière lui. Enfin le silence.

•Là, il la reconnaît. C’est elle. Flottant dans la pièce, au-dessus du bureau de style Louis XVI de son père. Au centre d’un halo de lumière, elle danse entre des mots au singulier, des mots au pluriel, des noms propres, des noms communs, des verbes à l’infinitif, des verbes conjugués, des adverbes, des articles, des conjonctions de coordination, des conjonctions de subordination. Sa langue natale, celle qu’il a toujours connue, le regarde et lui pose des questions, un millier de questions. « Tu me reconnais ? », « Tu m’aimes ? », « Est-ce que tu me trouves belle ? », « As-tu envies de jouer avec moi ? », « Regarde comme je danse bien avec tous ces mots », « Tu veux faire un quiz ? », « Tu me trouves grosse ? », « Est-ce que tu aimes ma robe ? », « Est-ce que tu aimes m’écrire ? », « Est-ce que tu aimes me parler ? », et encore, et encore. Il n’a pas le temps de lui répliquer que déjà une autre question arrive. La tête lui tourne. Toutes ces paroles lui tambourinent le cerveau. Il est fatigué et en colère, il met ses mains sur ses oreilles et crie « STOP, STOP, ASSEZ ! »

•Derrière la porte dans le couloir, il distingue le baragouinage de sa mère et Zarby « Pourquoi tu viens pas jouer ? Moi, je veux jouer à la balle. ». Sa mère ouvre et entre dans la pièce. Inquiète, elle le dévisage d’un regard interrogateur. « Qu’est-ce qu’il t’arrive ce matin ? Tu n’es pas malade ? Tu as fait un mauvais rêve ? Tu n’as pas faim ? Ton chocolat va être froid. » Zarby de plus belle « Ouaf-ouaf, ouaf !» Une petite fumée blanche et brillante sort de la bibliothèque, danse un instant dans le couloir avant de se perdre dans un livre de poèmes ouvert, posé sur un transat dans le jardin.

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