Le récit que nous vous proposons aujourd’hui est imaginé par Carole. Un texte à l’humour facétieux, surprenant, convaincant. Bonne lecture !
La fuite
Il était environ minuit trente, lorsque Pierre se leva de son fauteuil et se dirigea vers sa chambre à coucher. Il s’allongea sur son lit, tira la couette jusqu’à ses épaules, lorsqu’il se rendit compte qu’il avait oublié quelque chose d’essentiel. Alors, d’un geste en sursaut, il se leva, se dirigea vers la salle de bain. Avec précaution, il posa une pointe de dentifrice sur sa brosse à dents qu’il tenait de sa main gauche. Ensuite, il ouvrit sa bouche en grand pour enlever son râtelier.
Sa main se heurta à sa gencive. Stupéfait, il fixa le miroir et il s’essaya de nouveau.
À sa grande surprise, Il se rendit compte que sa bouche n’était plus qu’un vide, il ne lui restait que ses gencives. Sa bouche n’était plus qu’un trou noir avec des gencives roses et salivaires : il n’avait plus de dents.
Il ne se résolut pas à cette situation, de sorte qu’il chercha son dentier pendant des semaines dans les placards de la cuisine, dans sa bibliothèque, dans son armoire à linge, etc. Il mit un avis de recherche dans le hall de son immeuble. » J’ai perdu mon râtelier probablement dans l’ascenseur ou dans le hall de l’immeuble. J’offre une belle récompense à celui ou à celle qui le trouvera et me le rapportera : Appartement 42, 3e étage gauche » En vain. Pierre ne se remit pas de sa peine. Mais il se dit qu’il fallait oublier.
Six mois plus tard, au mois d’avril, il se rendit au Louvre pour voir une exposition du peintre italien Le Caravage. Il y avait beaucoup de visiteurs dans la salle, si bien que Pierre dût faire la visite au pas de course, sans pouvoir apprécier le talent du peintre comme il l’aurait souhaité. Il se rendit dans la Salle des États, située au niveau 1 de l’aile Denon pour voir La Joconde. Et là, son regard s’arrêta sur un petit tableau d’environ quarante sur soixante au cadre doré. Il se rapprocha pour le détailler, et là, Pierre reconnut son râtelier. Sans réfléchir, il le questionna :
– Mais qu’est-ce que tu fais là, Mamour ?
Le dentier claqua des dents pour lui répondre. Sa voix était claire, son débit soigné et distingué.
– J’existe !
– Comment ça tu existes ? L’interpella-t-il.
– Oui ! Cher Monsieur ! J’existe ! Ici, on me mire, on m’admire et ça m’a fait du bien !
Je vois passer des Chinois, des Japonais, des Australiens, des Brésiliens, des gens de toutes sortes, et, crois-moi, je ne laisse pas indifférent.
– Ah bon !? C’est ça ta nouvelle vie ? Une vie de chien ? Où tu t’exposes au vu et au su du tout-venant ?!
Vexé, le râtelier changea de ton :
– Cette vie que tu appelles vie de chien, me plaît ! Elle me change de la vie de merde que tu me faisais vivre. Une vie triste et monotone sans fioritures. Jamais de chocolats, ni d’œufs aux truffes, ni de Château Petrus. Alors j’en ai eu marre, je me suis barré. J’ai vécu quelques mois dans la bouche d’un châtelain en Bourgogne, je m’y suis beaucoup plu. J’ai voulu changer, je suis ici depuis un an environ.
– Ah bon ? Monsieur a voyagé en plus ? Bon d’accord, je comprends que tu n’étais pas heureux avec moi, mais tu ne t’en es jamais plaint, hein ? Comment aurais-je pu le deviner ? Savoir que tu aspirais à ces plaisirs ? Si seulement tu m’avais dit !!
Pierre fixait son râtelier avec les yeux d’un amoureux possessif. Il continua :
– Ce n’est pas une vie que de t’exposer au tout-venant. En plus tout le monde te regarde, tu n’as plus d’intimité, le lieu est bruyant, les lumières sont vives et agressives dans la salle…
– Stop ! Ça m’est égal !!
– Tu vas perdre ta dignité, à force, Mamour !
– Je n’ai honte de rien !
– Reviens ! Je te promets une vie de palais désormais ! Tout ce que tu voudras ! C’est promis…
– Non ! Non ! Non ! Plutôt mourir.
Votre commentaire