« Dédicace »

Inspirée par l’actualité littéraire de ce début d’année, Annie a imaginé un récit qui va certainement vous donner le sourire ! Bonne lecture ! 

Dédicace

La journée s’annonce mauvaise. Michel a oublié de mettre son réveil. Il est non seulement en retard, mais en panique. Il ne doit à aucun prix rater son avion. Passer à la « Grande Librairie », c’est bon pour les ventes de son bouquin ! Il avale son café, ramasse ses affaires en toute hâte et s’engouffre dans un taxi. Direction l’aéroport de Limoges. Au comptoir d’enregistrement des bagages, il présente sa pièce d’identité et son billet. Alors que sa valise part sur le tapis roulant, l’hôtesse lui chuchote d’une voix suave : « Je vais vous surclasser ! En attendant, pourriez-vous me dédicacer votre livre, je viens juste de l’acheter ! »

Michel plonge sa main dans la poche intérieure de son blouson en cuir défraîchi. Rien. Il fouille sa sacoche. Toujours rien. Mais où est passé ce fichu stylo ? La sueur commence à perler sur son front. Ses mains tremblent. « Mon styloooo ! Mademoiselle, j’ai perdu mon stylo ! Vous savez, c’est mon éditeur qui me l’a offert quand j’ai atteint les 100.000 exemplaires vendus ! Mon stylo ! Il est sûrement tombé quand je vous ai donné mes papiers. Regardez, s’il vous plaît, il a certainement roulé derrière le comptoir ! Il est en laque bleue ! Avec une plume en or ! C’est un stylo de luxe, Mademoiselle ! » Pleine de bonne volonté, la jeune femme se baisse pour explorer la machinerie du tapis roulant. Quelques instants plus tard, elle se relève et lui tend, avec un large sourire, un stylo aux couleurs de la compagnie aérienne. Michel la regarde, d’un air dégoûté. « Mais, non, Mademoiselle, comment osez-vous me proposer d’écrire avec un stylo si cheap ! » Michel esquisse une moue, méprisante. « Vous ne voyez pas qu’il est… en pur plastique, made in China ! Non et non, jeune fille, il n’en est pas question ! »

« Embarquement immédiat pour le vol… » En proie à une intense crise d’angoisse, Michel se dirige à la hâte vers la porte d’embarquement. Arrivé à bord, il s’affale sur son siège. Il va mal. Son souffle est court. Son cœur s’accélère. Il est maintenant au bord du malaise. C’est alors qu’il entend une voix lui dire sèchement : « Monsieur, vous êtes assis à ma place ! » Michel n’en croit pas ses yeux. C’est son cher stylo qui l’interpelle. D’un geste leste, celui-ci retire son capuchon doré et sa doudoune pour montrer ses courbes sensuelles, moulées dans une combinaison en latex bleu nuit. Le stylo, toujours très classe, le prie poliment de se lever au plus vite. « Veuillez quitter ce siège avant que j’appelle le personnel de bord ». Michel ne bouge pas d’un centimètre, s’agrippe aux accoudoirs, bien décidé à rester sur son siège. Le stylo impatient se met alors à déverser un flot d’injures, avant de poursuivre : « Allez, dégagez ! Vous n’avez rien à faire ici ! » Sûr, il vide sa dernière cartouche ! Michel est tétanisé. Il ne trouve pas les mots pour réagir. Un comble, lui qui d’habitude est si prolixe ! Histoire de mettre les points sur les i, le stylo enchaîne : « Regardez dans quel état vous êtes ! Tout dégoulinant de sueur, débraillé comme d’habitude ! Aucune élégance ! Vous et moi, nous ne sommes vraiment pas du même monde ! On n’aurait jamais dû se rencontrer, ni vivre ensemble ! » La situation devient insupportable pour Michel. Piqué au vif, il se rebelle : « Mais, enfin, tu es MON stylo ! Tu te rends compte comment tu me parles ! N’oublie pas que, sans moi, tu n’es RIEN ! Oui, tu n’es plus RIEN sans mes mots ! »

« Erreur ! Grave erreur, cher Monsieur ! Il faut que je vous dise… j’en ai assez de votre prose, de vos propos incendiaires ! Je viens tout juste de signer un contrat avec une autrice ! Oui, Monsieur, une autrice ! Il est temps pour moi de changer de vie avant la retraite ! Vous vous rendez compte ? Je vais écrire… pour un prix Nobel ! Oui, Monsieur ! Je vais écrire des histoires fé-mi-ni-stes ! Je vais enfin tourner la page de vos célèbres… Comment les appelez-vous déjà…? Pellicules… monticules … radicules… opercules… ? Peu importe, après tout, ce n’est pas le sujet ! Sur ce, Monsieur, libérez immédiatement ce siège ! Le vôtre est en classe éco ! L’hôtesse a changé d’avis comme elle n’a pas eu de dédicace ! »

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