Dernier récit de l’atelier inspiré de la nouvelle fantastique et grotesque, « Le Nez » de Nicolas Gogol.
L’histoire imaginée par Danielle est juste, efficace, pleine de tendresse et d’affection. Bonne lecture !
Pardon
11 h. C’était l’heure d’aller chercher son pain à la boulangerie au coin de la rue. Monsieur Jean enfila son gilet gris souris, attrapa de sa main gauche la poignée de la porte, et tendit la droite vers le porte parapluie où l’attendait sa canne. Avec effroi, il constata que celle-ci n’était plus là. Impossible ! Il était certain d’être rentré hier après-midi avec sa fidèle compagne, après leur promenade au parc. Comment allait-il pouvoir se déplacer sans cet indispensable appendice ?
Monsieur Jean fit le tour de l’appartement. Rien. Il lui fallait sortir quand même. Que vaut un déjeuner sans baguette ? Il attrapa un parapluie, qui le soutiendrait dans sa marche, et sortit dans la rue. Ridicule, songea-t-il, de sortir avec un parapluie alors que le ciel était si bleu. Cette pensée trouva un écho aussitôt. Une voix légèrement moqueuse reprit « Ridicule de sortir avec un parapluie alors que le ciel est si bleu ! ». D’où cela venait-il ?
Tout à coup il l’aperçut, appuyée nonchalamment au pied d’un candélabre. Sa canne en bois d’ébène, au pommeau d’argent. C’était elle qui venait de l’apostropher.
« Mais comment as-tu fait pour sortir ? Me laisser seul, sans appui ? Tu sais bien que j’ai besoin de toi » se lamenta Monsieur Jean. La canne frappa légèrement le sol, avant de lui répondre : « J’en ai assez des promenades au parc, et des allers retours à la boulangerie. C’est bon pour les cannes ordinaires, remboursées par la Sécurité Sociale, ce train-train là. Moi je suis une canne noble, j’aspire à d’autres sorties dans le grand monde. J’en ai assez de servir de bâton de vieillesse à un vieux monsieur de 90 ans. »
En entendant ces mots durs, Monsieur Jean sentit une larme couler sur sa joue. Ils en avaient vécu pourtant bien des aventures, du temps où il était un fringant jeune homme. Sa belle canne ne l’aidait pas à marcher, mais à parader, lui, le dandy dans le grand monde.
« Rappelle-toi tout ce qu’on a traversé ensemble, tu ne peux pas me laisser ainsi » supplia Monsieur Jean, pleurant maintenant à chaudes larmes. A croire que les cannes ont une âme. La belle canne en bois d’ébène à pommeau d’argent s’avança vers Monsieur Jean, et se lova dans sa main droite, sans dire un mot. Pourtant, Monsieur Jean avait bien cru entendre « Pardon ».
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