Le récit de Carmen est lyrique, métaphorique, complexe. Vous allez être conquis par la force de son propos. Bonne lecture !
L’agonie de Morphée
Seul dans le noir, allongé sur ta couchette, le combat démarre dès les derniers tours de clefs dans les serrures. Les portes se ferment mais pas ta tête. C’est l’instant qu’elle choisit pour te rendre visite, prend tout l’espace libre, ne vas te laisser aucun répit. Ses batteries chargées à bloc, Insomnie est rosse avec toi. Tu vas devoir tenir la distance cette nuit encore.
Entre elle et Morphée, c’est un rude combat dans ce ring où tous les coups bas seront permis. La pitié n’aura de place ce soir. Redoutable d’efficacité, rien n’a de prise sur elle, et te tiendra en éveil telle une lampe qu’elle aurait allumé dans ta tête. Aucun interrupteur ne va te plonger dans les bras de Morphée, Insomnie, sera encore ta plus fidèle compagne. Néanmoins, tu refuses de t’avouer vaincu aussi vite, il faut tenter de sauver Morphée cette nuit encore. Mais le plus difficile entre ces quatre parois est que tu ne peux lui échapper. Elle, elle rentre et sors à sa guise mais toi, toi tu es bel et bien coincé dans cette cellule où chacun de ces murs te rappelle systématiquement ta condition de détenu. Tout ne sera que lutte à commencer par Le mirador balayant un rayon lumineux sur la façade ton bloc, qui repart, qui revient, qui repart toujours ce faisceau permanent, comme celui de la Tour Eiffel en bien moins joli.
Ecoute, l’entends-tu goutter le robinet du lavabo ? Agaçante musique. A peine une perle d’eau tombée que, déjà, tu guettes la suivante. Et, à chaque fois, ton cœur s’emballe. C’est fou comme un si petit bruit peut produire un si grand effet. Des semaines que l’administration pénitentiaire doit venir changer le joint qui fuit mais à chaque fois même refrain, restriction budgétaire, il y a plus urgent à traiter. Non, le plus urgent ce sont les rongeurs qui avec leurs petites quenottes grignotent tout ce qui traine, les cafards dégoûtants courant le long des coursives s’immisçant dans le moindre trou laissé libre d’accès.
Maintenant, c’est une odeur âcre qui vient chatouiller les narines, les relents des mauvais repas embaument participant à rendre les nuits pénibles. Ici tout n’est que sensations désagréables et l’œil grand ouvert tu fini par te demander si dieu n’as tout simplement pas oublié ces hommes hors de la société. Le noir exacerbe les douleurs humaines. En prison les rêves sont destinés à mourir, seuls vivent les cauchemars dans les esprits tourmentés. Toutes ces sombres pensées qui passent en boucle dans ta tête, c’est le fil de ton existence, ta vie défilant des heures durant. Tu veux crier « CUT » Mais non, le film fait juste pause, et tout recommence, sans fin. Le voilà le pire des châtiments. Une peine qu’aucun tribunal n’oserait prononcer. Cette nuit encore tu pries pour trouver le sommeil promis par Morphée mais cette nuit encore il s’est évadé, lui.
Seul dans le noir qui s’éteint peu à peu, allongé sur ta couchette, les premiers tintements des clefs de l’aube te tirent de ta léthargie. Quelle heure était-il lorsqu’elle t’a enfin abandonnée l’horrible succube. Tu n’en sais rien mais sûrement très tard comme à chaque fois. Le réveil fait mal. Tu aurais voulu prolonger cette nuit qui déjà n’en est plus une. La bataille vaillamment menée, qui de vous deux l’a remporté ? Elle ou toi ? Entre vous c’est une guerre, nuit après nuit sans savoir si une paix durable finira par se conclure un jour. Une certaine agitation gagne doucement tout le bâtiment. Ceux qui ont eu la chance de dormir sur leurs deux oreilles sont reposés et n’ont pas de scrupules à le faire savoir de manière bruyante. Ici, personne n’a vraiment de respect pour les autres. Chacun pour soi et dieu pour tous, La loi du plus fort est la règle. Dans cette cacophonie grandissante, les matons ne sont pas en reste. Eux non plus n’ont pas eu leur repos, alors ce matin tu vas devoir subir les petites mesquineries vengeresses de leur part. Il ne te reste quelques heures de tranquillité toute relative avant qu’elle s’invite à nouveau dans le creux de tes bras. Morphée est mort, Insomnie sera ta compagne la nuit prochaine.
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