« Le vieux chêne »

C’est au tour de Laurent de vous inviter à la lecture de son « Monologue » … particulier puisqu’il y donne la parole à un arbre !

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Le vieux chêne

 Fernand et moi, on vient souvent s’asseoir à côté du vieux chêne. Qu’est-ce qu’on l’aime notre vieux chêne ! A quelques pas du village, une chênaie s’étendait sur près d’ un hectare. Elle nous faisait vivre. Fernand et moi, on travaillait à la tannerie. On y broyait les écorces dans un moulin à tan. La poudre obtenue nous permettait de traiter les peaux et le cuir. Aujourd’hui, tout ça c’est bien fini !

 Fernand et moi, on n’a plus que le vieux chêne, notre rescapé. Les autres arbres ont été abattus, sciés, coupés en planches et montés en charpente. Fallait faire de la place pour les champs, il paraît ! Lui, il est toujours majestueux. Il culmine haut et fier comme un repère sacré. Sa splendeur atteint une trentaine de mètres. Le diamètre de son tronc a plusieurs siècles, il m’impressionne. J’ai devant moi deux mètres de puissance et de robustesse. La base de son tronc, recouverte de mousse verte, sert de point d’ancrage aux racines qui cherchent leur chemin et finissent par pénétrer le sol vaincu. Par endroits, son écorce fissurée d’une teinte noirâtre est envahie par une colonie de lichens.

 C’est un jour d’automne ensoleillé. La cime de l’arbre s’illumine de reflets blancs et des ombres vertes apparaissent sur ses branches. Le tronc du chêne s’élargit en de multiples embranchements. Des branches se plient, se ramifient et s’étendent plus loin encore en brindilles plus longues. Elles s’entortillent et poursuivent leur ascension vers le ciel. Il fait froid et humide, seules quelques feuilles dentelées résistent encore aux temps. Jaunies, elles ne demandent plus qu’à s’abandonner au vent. Secoués par les oiseaux, les glands suspendus lâchent prise et tambourinent sur le sol. Esseulé, l’ancêtre ne fait plus beaucoup d’ombre et les champignons ont choisi d’autres lieux.

Qu’est-ce qu’on l’aime notre vieux chêne, Fernand et moi ! On l’admire, on le trouve élégant. On sait qu’il abrite une multitude d’insectes, mais on le serre tout de même dans nos bras. Il nous reconnaît forcément, alors on lui tape le tronc pour lui dire qu’on est là, qu’on est venu le voir et qu’on l’aime.

 

Oh non ! Encore ces deux vieux! Ils sont encore là ! Ils vont jacasser toute l’après-midi et je vais devoir les supporter ! Ils vont commencer avec leurs rhumatismes et leurs problèmes de tension. Ensuite, on va avoir droit aux rengaines sur le bon vieux temps… Ça me déprime !

Lorsque Fernand et lui se promenaient avec leurs outils sur les sentiers de la chênaie, il y avait mes cousins, des bois denses et durs. Il y avait des vieux rustiques et des jeunes compères arbrisseaux. Ils formaient un taillis haut et compact. Certains de mes cousins étaient là depuis cinq siècles. Et ces deux là, ils n’avaient pas de rhumatismes à l’époque ! Ils travaillaient en criant au milieu des écureuils. Quel manque de savoir vivre ! Ils frappaient et coupaient les troncs malades. Les larves et les chenilles étaient dérangées et tremblaient sous les coups.

Je me souviens : quel toupet ils avaient ! Les geais ne pouvaient plus se cajoler en paix. Ils devaient nidifier ailleurs. Ces deux lascars plantaient de jeunes chênes prétentieux et sans caractère. Incroyable ! Et puis, ces deux décrépits se chamaillaient pendant leur pause pour se répartir leur récolte de cèpes. Aujourd’hui, terminées les omelettes ! Bien fait pour eux ! Et ce sont encore ces deux vieux schnocks qui se sentent obligés de me réveiller en sursaut en tapant sur mon tronc ! « Notre vieux chêne par-ci, notre vieux chêne par-là…» : qu’est-ce qu’ils sont pénibles ! Vraiment insupportables ces deux là ! En plus, ils font fuir mes potes, les sangliers, et mes glands pourrissent. Je n’arrive pas à m’en débarrasser !

De l’air, les deux vieux ! 

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Crédit illustration : Jean-Jacques Sempé

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