Avec le récit de Carole, vous allez vous régaler les yeux et les papilles ! Nous vous souhaitons bonne lecture… ou bon appétit ?!
Le délice des yeux
J’étais très heureuse.
Heureuse d’arriver au terme de ma vie professionnelle ; enfin, je pourrais voyager ! Assistante juridique au sein d’un cabinet d’avocat, j’en avais vu et entendu durant ma carrière, des vertes et des pas mûres… Souvent, toutes ces affaires de meurtres, de viols ou d’accidents me donnaient des idées noires. J’admirais mon boss ; il traitait chaque affaire toujours avec la même énergie, la même motivation. « Je me fais tous les matins un jus d’agrumes au gingembre et à la cannelle », aimait-il à répéter et « Sachez, chère Claudine, que derrière chaque dossier se trouve un homme qui a le droit d’être défendu ».
Pour notre dernière collaboration, Maître Grellard m’invita dans un restaurant cinq étoiles au Guide Michelin qui affichait la couleur dès le pas de porte. Pour l’occasion, je portais un tailleur pantalon rouge oranger, ma couleur préférée, et un tee-shirt blanc assorti à mes jolies baskets Nike. J’avais mis un fond de teint Terracotta qui me donnait un petit teint hâlé. Je me sentais moderne et à mon aise. J’osais ! J’entendais les reproches de ma sœur : « Tu n’as plus l’âge pour porter du rouge, ma vieille ! » mais je m’en foutais. Je savais qu’elle était jalouse de moi, envieuse de mon audace. J’avais refait la couleur de mes cheveux, pour masquer le temps qui passe. Je ne supportais les cheveux blancs que chez les autres ; ce n’était définitivement pas pour moi ! Et je voulais être en majesté pour ce dernier moment de ma carrière. Lui était habillé sobrement, comme à son habitude : une cravate unie foncée posée sur une chemise claire. Ses mocassins étaient impeccablement cirés au noir Baranne. Toujours ce style classique qui le caractérisait.
Les couverts lourds et argentés me rappelèrent les repas des grandes occasions, dans mon enfance. Les pieds des verres à vin et à eau étaient assortis au rose clair de la nappe et le serveur posa à la pince, à côté de chaque assiette, un petit pain frais aux graines de pavot. Le repas était raffiné. Nous avons démarré par une soupe de champagne, accompagnée de quelques amuses bouches, de quoi ouvrir tous nos sens. Suivit un velouté rouille de potiron et courgette, épicé au cumin et pailleté de quelques zestes de citron vert. Puis un dos de cabillaud, bruni aux graines de sésame, ce qui lui donnait un léger goût de noisette. Il était accompagné d’un dôme de riz camarguais noir et brun, aillé mais pas trop, accompagné d’un duo de poivrons rouges et jaunes de saison. La robe jaune du vin blanc était une belle promesse ; je ne me trompais pas, c’était une œuvre d’art ! Le dessert était aussi raffiné. Enfin, le serveur nous apporta un café noisette, avec quatre petits macarons parfum framboise, vétiver, citron et saveur fleur de violette. Tout était à la fois beau et délicieux ! Tandis que mes yeux pétillaient à la vue de ce festival de couleurs, mes papilles savouraient.
Lorsque la note arriva, Gérard la régla discrètement avec sa CB. Elle devait être salée ! A la fin du repas, il sortit une enveloppe de la poche intérieure de sa veste et me la remit. Il insista sur le plaisir d’avoir eu à travailler avec moi et me remercia chaleureusement pour ma fidélité. J’étais surprise et très émue, car il était, d’ordinaire, avare en compliments. Je sortis de l’enveloppe un aller-retour pour deux personnes en direction de l’île de Bora Bora. J’eus de la peine à masquer ma surprise et mon émotion sous mon blush rose orangé. Mes pupilles dilatées et mes yeux rougis me trahirent davantage. « J’espère que ce voyage en Polynésie vous plaira, Claudine », dit-il mezza voce. « Pour moi, c’est l’île aux quatre couleurs : le blanc des fleurs de tiaré que les Tahitiennes vous offrent à l’aéroport, le bleu, parfois émeraude, parfois topaze, de la mer et du ciel, le vert tropical de la végétation et le noir d’ambre de ses perles. Vous qui aimez la couleur, vous allez adorer ! ».
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