Aujourd’hui, c’est Nathalie qui vous transporte sur des pentes enneigées. Vous êtes prêt ? Attention, au départ ! Cela va aller vite, très vite !
« Tout schuss »
C’est le jour J de la mythique descente de ski, la discipline reine pour le classement de la coupe du monde. La descente de Val d’Isère est réputée d’une extrême difficulté. Son départ à 45 degrés glace toutes les participantes par sa difficulté, sa vitesse dépassant les 130 kilomètres-heure et ne pardonnant pas la moindre erreur de trajectoire.
Depuis des semaines, mon esprit est totalement imprégné par cette descente. Cette nuit s’est avérée compliquée, mon sommeil fut très agité par ce mélange ambivalent entre excitation, peur et stress. Dès mon réveil, je vérifie et revérifie tout mon équipement déjà rangé depuis plus d’une semaine. Ce sac fétiche, emblématique, offert par ma mère disparue, est usé par le temps. Il ne me quitte et ne me quittera jamais. Des pièces cousues à la main lui permettent de ne pas céder au poids du matériel. J’aime son odeur imprégnée de l’humidité du froid et de la sueur mal séchée. Malgré la liste de mon matériel accrochée au-dessus de mon lit, que je connais par cœur, je ne peux pas m’empêcher de vérifier que mon casque, mon masque, ma combinaison profilée, mes gants soient bien rangés à leur bon emplacement. La boule au ventre et nauséeuse, je descends l’escalier pour rejoindre la navette nous menant au pied du téléphérique.
Au bout d’un kilomètre de trajet, je sursaute de mon siège avec un cri interne d’effroi restant inaudible pour mes co-équipières : l’oubli de mes genouillères ligamentaires me font entrer en transe. Mes jambes se dérobent et j’effectue un balancement de tout mon corps tel un trouble autistique. Pour calmer mon angoisse, je respire lentement et sourit à mes co-équipières qui me lancent de petits regards surpris par mon attitude.
A la descente de la navette, telle une automate, je me dirige vers les vestiaires : je chausse mes chaussures sans fermer tous les crochets. J’attrape sous mon bras gauche mes bâtons profilés, essentiel pour parfaire la position de l’œuf durant les schuss afin de gagner quelques centièmes de secondes. Enfin, je pose sur mon épaule droite ma paire de ski parfaitement fartée et les carres aiguisées, telles un couteau de boucher. Devant la foule amassée sur l’aire d’arrivée, les clameurs, les chants et les sons des cloches agitées par les spectateurs me redonnent un peu de baume au cœur.
Cette ambiance montagnarde, je l’ai toujours adorée et je profite de cet air frais qui remplit mes poumons et me rosit les joues. Chaque cliquetis du téléphérique fait grimper mon rythme cardiaque. Mes tempes résonnent. Mais, ce ciel bleu azur, ces branches de sapins recouvertes de neige m’apaisent.
J’admire ma chère montagne de sa blancheur immaculée. Et, je profite du chant des oiseaux et du groupe de chamois, ces funambules des cimes bien dissimulés au-dessus des parois rocheuses.
Avant le départ, les yeux fermés, chacune dans son coin et sa bulle, nous pratiquons « l’imagerie mentale » pour visualiser chaque embûche de la descente tout en balançant nos bras, nos têtes, nos jambes tels un ballet de danse contemporaine.
À l’appel de mon numéro de dossard, j’essaie de sortir cet état second et j’entre dans la chambre de départ. Je place mes bâtons devant la cellule photoélectrique pour le déclenchement du chronomètre. Je me concentre sur l’impulsion de la poussée et des 4 ou 5 pas de patineurs à effectuer pour prendre un maximum de vitesse. Le compte à rebours commence. Chaque chiffre est suivi par un bip, 5, 4, 3, 2, 1 GO. Me voilà vite prendre de plus en plus de vitesse, la succession des portes bleues et rouges s’enchaînent.
Un déchargement d’hormones emplit mon corps : cortisol, endomorphine, adrénaline. Celles-ci me poussent à me surpasser et à surmonter la griserie de la vitesse et la hauteur des sauts enchaînés avec un immense plaisir, une véritable déconnexion du monde comparable à un junkie après son shoot.
Sur l’aire d’arrivée, dans l’attente du résultat chronométrique, je reste les yeux fermés pour garder ce plaisir et retarder au maximum le retour dans le monde réel.
Tout à coup, j’entends scander mon prénom. Je ne comprends pas car je n’ai jamais gagné de compétition. J’ouvre mes yeux et je vois mon acolyte me dire : « Il est l’heure, dépêche-toi, tu vas rater le départ de ton bus pour le travail ». Mon rêve s’est envolé tel l’aigle sur le toit des cimes et il ne me reste que ces douleurs aux genoux.
Je suis prête pour ce départ. Règnera-t-il un esprit de cohésion et de plaisir ?
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