Nous poursuivons la mise en ligne des récits imaginés par nos écrivants avec celui d’Annie. Nouveau départ, nouvelle ambiance. La chute de son récit devrait vous surprendre !
« Un départ sous haute tension »
J’ai huit ans quand, un jour, mes parents m’interdisent d’aller jouer dehors. Bizarre.
Cet après-midi-là, la chaleur est insupportable dans notre petit pavillon de banlieue. Pour autant, Papa s’affaire à fermer méticuleusement les volets, puis les doubles-rideaux en épais velours rouge de la salle à manger. Tout cela est bien étrange. « L’obscurité permet d’améliorer le contraste des images», explique-t-il, d’un ton savant. Il allume le téléviseur. Un Océanic. Posé sur une table à roulettes en formica couleur noyer. Au bout de quelques minutes, l’écran scintille, la mire s’affiche en noir et blanc, puis des stries se mettent à zigzaguer de haut en bas. La voix nasillarde du journaliste résonne dans la pièce. Papa procède à toute une panoplie de réglages jusqu’à ce que les images se stabilisent et deviennent nettes.
C’est magique ! On voit la Floride, Cap Canaveral. Des spectateurs par milliers, casquette vissée sur la tête et lunettes de soleil sur le nez, ont, comme nous, les yeux rivés sur un engin blanc, en forme de suppositoire géant. Un vrai colosse planté dans la terre et retenu à la verticale par des sortes de bras articulés. Les caméras nous montrent maintenant une immense salle de contrôle envahie de consoles. Des centaines de personnes y scrutent les écrans. Changement de scène. On suit trois hommes boudinés dans leurs combinaisons blanches qui pénètrent avec précaution dans la capsule. Excité comme une puce, le commentateur parle de plus en plus vite, émaillant ses phrases de mots étranges : « Orbite, module, gravité, propulsion… ». Je piaffe d’impatience de comprendre.
« Dis, Papa, pourquoi les astronautes portent des casques et des combinaisons ? Ils doivent avoir drôlement chaud ? Comment c’est l’apesanteur ? C’est quoi l’hydrogène liquide ? C’est loin la Lune ? »
« Chut, ma chérie, je t’expliquerai après ! » me souffle Papa. J’obéis et dévore des yeux toutes ces images venues d’un autre monde. La tension est palpable des deux côtés de l’écran. Le compte à rebours a commencé : « 5, 4, 3, 2, 1… Ignition ! » La fusée décolle dans un vacarme assourdissant mêlé d’immenses flammes. Les trois astronautes de la mission Apollo 11 sont à son bord. Objectif Lune.
Notre émotion est à son comble. On hurle notre joie. On pleure. On s’embrasse. Papa fait sauter le bouchon d’une bouteille de champagne. Puis, il me verse un verre de limonade avec grenadine, c’est un grand jour ! On se régale de glaces à l’eau, en forme de fusée. Papa éteint la télé et met un vinyl d’Adamo, on ne peut plus dans l’air du temps : « À demain sur la Lune » !
Quelques jours plus tard, on se retrouve en pyjama devant la télé, sur le coup de trois heures du matin, pour assister à l’apothéose, l’alunissage sur la Mer de Tranquillité et les premiers pas d’Armstrong sur la Lune. C’est lui qui a fait naître ma vocation de travailler dans le secteur spatial ! Aujourd’hui, je viens d’être sélectionnée parmi des milliers de candidatures pour devenir astronaute ! Autant dire que j’ai décroché la Lune !
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