« Le rat du boulevard »

Le titre de ce nouveau récit « Silhouettes » vous intrigue ? Vous vous demandez où Laurent veut en venir ? Suivez-le, vous ne le regretterez pas ! 

« Le rat du boulevard »

Celui qui regarde derrière la vitre, les feux clignoter en silence, entend le flipper claquer et sent l’odeur du café crème ; celui qui lit son journal voit son quotidien miroiter sur le zinc du comptoir ; celui qui klaxonne coincé dans les bouchons du boulevard écoute son autoradio rugir ; celui qui tangue sur le bitume brillant du trottoir, tape du pied. Il a mis son chapeau aux bords usés, il pourrait s’offrir un cornet de châtaignes fumantes ; celui qui se dandine quand le soir s’invite, lui tend son parapluie, la pluie dégouline, et les pneus crissent ; celui qui se balance quand la nuit dérange a sorti sa flûte, il ne sait pas en jouer et fait semblant ; celui qui porte courbé, un accordéon aux notes cuivrés, joue les jolis cœurs. Son col est relevé, son torse est velu, il pourrait chanter, mais on entend la la la ! ; celui qui tambourine sur ses caisses, cogne des tôles aussi ; celle qui danse, fait virevolter sa longue jupe. Les phares de la voiture en colère, la porte en ombre chinoise ; celui qui gratte sa rythmique, pose devant les feux tricolores, pendant que des fumées s’échappent ; celui qui tend la pièce, compte ses pas, il reconnaît cet air oublié ; celui qui se plaint du tapage et veut changer de quartier passe son chemin ; celui qui frappe ses mains en cadence veut qu’il revienne…

Un rat noir au pelage hirsute s’admire dans une mare ondoyante. Son trou est situé à l’angle de l’avenue, c’est une vue imprenable sur le stand de châtaignes fumantes. Tous les soirs, le vendeur ambulant en oublie quelques-unes, et le rongeur affamé vient se rassasier. Il faut aller très vite, sinon c’est le coup de pied assuré. Il a une longue queue rose qui s’est déjà faite écraser. Il veut devenir le reproducteur du quartier, seulement la concurrence est rude, il y a le gros rat blanc qui loge au 30 ; lui, il est peigné, parfumé, et il attire toutes les femelles avec les couinements aigus de sa roue qui grince. Quand il a fini de dévorer son festin, le sombre animal aime se dégourdir les pattes dans le local poubelle de l’épicier. Il a un accès direct aux câbles des installations du quartier, aussi, dès qu’il le peut, il s’en donne à cœur joie. Par contre, les cages d’escalier, il évite, ça sent fort la rampe lustrée.

Un jour, tu viendras me retrouver dans les égouts. Moi, ton vieil oncle, fatigué ; celui qui t’as vu grandir. Je t’ai regardé, tu ne te limes plus les griffes. Ne viens pas te plaindre ! tu attends que le clapotis cesse, qu’espères-tu ? C’est un rat noir anthracite au cœur mordant que je veux voir quand le froid est piquant et que les feuilles bruissent… Ils ont tous mis leur bonnet, t’aurais pu faire un effort, t’as vu ta dégaine ! Le dimanche, le vendeur de châtaignes fait la grasse matinée. Il se fait beau, puis il va danser. Toi, t’écoutes le baratin d’une blatte, c’est ta seule amie. Elle te promet des tartines, et pendant qu’elle pond dans ton abri, tu y crois. J’ai compris, tu ne supportes pas les pigeons, ils t’éclaboussent. Prends tes distances et brosse-toi les incisives ! il faut savoir les ménager. Le bruit des pas sur le macadam te fait fuir. Pourtant, je t’ai appris à survivre. Tu sais couper un doigt, et sauter au mollet d’un trop remuant. Les rats des caniveaux ne sont pas des trouillards. Mais attention, ce n’est pas une raison pour devenir furibond. Certes, les dames endimanchées poussent des cris lorsque tu te présentes devant elles. Garde ton sang froid ! N’oublie pas que tu es devenu repoussant ! Ne cède pas aux provocations, écoute ton vieil oncle fatigué. Mets-toi un coup de peigne ! Je suis sûr que tu trouveras un sac, prêt à t’emmener là où le tempo fait ping paf pouf comme sur le boulevard.

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