Adélaïde reste dans son univers fantasy, créé au fil des derniers ateliers, et nous livre un nouveau récit avec Lucy où l’émotion nous prend à la gorge. Bonne lecture !
La bibliothèque
Sur l’étagère au bois chaleureux, des livres en rang prenaient la poussière. Certains paraissaient neufs, pas encore lus, d’autres avaient la tranche déchirée par le nombre de lectures et quelques-uns, pas encore rangés, étaient en équilibre précaire là où il y avait la place. Sur la tranche haute d’un livre épais et rouge, il y avait même un jeu de cartes de tarot, limé jusqu’à l’os par les parties nocturnes.
L’alignement des livres étaient interrompues par quelques bulles de souvenirs, agencées par un petit buste en marbre blanc d’un homme dégarni tenant les livres, ou une boîte en fer décorée de motifs jaunes et bleus, ou encore un gros roc aux tons bleu-vert, accompagné d’une série de petits cailloux aux couleurs variées. Dans les espaces vides aménagés, les objets du quotidien côtoyaient les souvenirs : des bijoux à côté de leur boîte, une paire de chaussons de danse classique usés jusqu’à la corde, trois cadres photo de paysage, des clés, un chargeur de téléphone, des polaroids en tas. Et pour finir tout en haut de l’étagère, une dizaine de plantes tentaient de prendre leur place, certaines allant chercher la lumière vers le bas, d’autres vers le haut et les dernières ayant déjà perdu la bataille. Cette bibliothèque avait clairement été d’abord organisée, rangée, pensée comme un objet de décoration. Mais elle avait été rattrapée par le quotidien, les besoins de tous les jours, en témoignait la paire de talons dans le coin gauche. Le temps et la poussière avaient fini par lui donner un air abandonné.
Lucy glissa son doigt sur un bout d’étagère vide, sentant la douceur du bois et laissant une trace plus foncée. A l’aide de son pouce et de son index, à présent plein de poussière grise, elle saisit un polaroid. Sur l’image un peu décolorée, elle voyait sa sœur faisant une grimace.
Deux mois. Deux mois avait passé depuis la dernière fois qu’elle était venue. Un monde entier. Cette bibliothèque qui était le centre de sa vie avant, paraissait appartenir à une étrangère. Tous ces souvenirs, tous ces livres qui décrivaient ses passions pour la littérature et la nature la laissaient maintenant indifférente. Elle voyait les titres « Entre chien et loup », « Le grimoire d’argent », des histoires de loup-garou qui n’auraient plus jamais la même résonance pour elle.
Le jeu de tarot et les polaroids, eux, lui rappelaient douloureusement ses amis. Qui la croyait morte. Deux mois sans nouvelles, que pouvaient-ils espérer d’autre ? Comment allait-elle expliquer son retour ? A moins qu’elle parte sans rien dire, disparaissant à nouveau ? En voyant la chaîne dorée ornée d’un petit arbre stylisé, les larmes lui vinrent. La chaîne que sa mère lui avait offerte. Etait-elle vraiment encore cette fille ? Elle avait l’impression que le monstre qu’elle était devenue ne méritait plus de la porter. Et cette pensée, une vague pleine de rage, l’envahit. Ils l’avaient arraché à sa vie, mais plus que ça, ils avaient ravagé ses souvenirs, son quotidien, la personne qu’elle était ! La laissant écorchée, avec tout à construire. Et elle commencerait avec sa bibliothèque.
Elle prit les livres de fantasy par poignées et les jeta sur le canapé. Tout ce qui avait trait aux loups ou aux métamorphoses disparaîtraient. Tout ce qui parlait de magie d’ailleurs. Les romans familiaux aussi. Le tri effectué, il restait quelques classiques et les romans policiers les moins sanglants. Les cailloux pouvaient rester, ils témoigneraient de son aridité. Le jeu de tarot partit à la poubelle, avec les talons, la boîte bleue et jaune. Les polaroids se retrouvèrent cachés au fond d’un placard. Haletante, Lucy regarda à nouveau la bibliothèque évidée, sur laquelle des moutons de poussière dansaient paresseusement. Une colère sourde continuait à gronder en elle. Son regard s’attarda sur les bijoux qu’elle n’avait pas encore triés. Elle les jeta par poignée dans la poubelle, elle ne voyait plus l’intérêt de parer son visage, d’adoucir la bête en elle. Sur l’étagère, il ne restait plus que sa chaîne, ses doigts tremblaient lorsqu’elle la saisit. Elle ne pouvait pas la jeter, mais n’était plus digne la porter… la colère qui l’animait jusqu’ici s’estompa devant la douleur et les larmes qui commencèrent à dévaler ses joues.
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