« L’antre du taxidermiste »

Cette histoire que nous raconte Nathalie ne devrait pas vous laisser indifférent ! Bonne lecture ! 

L’antre du taxidermiste

C’est un appartement situé au 6ème étage pourvu d’un escalier en colimaçon. L’immeuble est cossu, bien entretenu par la gardienne qui range tout ce qui dépasse. Les paillassons sont toujours bien alignés devant chaque porte. Voilà le locataire du 6ème qui dégouline de sueur. La température est caniculaire. Sa respiration est aussi rapide qu’un cheval au galop. Il met ses bras sur ses genoux pour essayer de retrouver des forces et du souffle. Il met une dizaine de coups d’épaule, tel un bélier, pour ouvrir son appartement ou son antre comme il l’aime le nommer.

Enfin, sa porte s’ouvre. Comme à son habitude, il prend trois grands pas d’élan pour sauter par-dessus le tas de revues posées juste derrière : Pif Gadget, Strange, l’Huma, Fluide glacial, Charlie Hebdo, le Canard enchaîné…

Merde! La détente est mal calculée et voilà toutes les revues entremêlées. Des heures de classement l’attendent, s’ il trouve le courage. Il continue à avancer avec ses courses du supermarché. Il est obligé de longer soigneusement le mur de gauche pour ne pas éparpiller les morceaux de mosaïque, taillées depuis 3 ans. Il veut orner une future table basse : il a récupéré une magnifique palette. Il ne comprend pas ces gens qui abandonnent de tel trésor. Pfff! Ils sont formatés, sans imagination !

Le voilà se dirigeant vers la cuisine et se collant minutieusement le long du mur de droite. Son attitude marquée d’une telle attention est liée à toute sa collection de pots de yaourts soigneusement nettoyés. Il a commencé cette passion depuis 30 ans. Imaginez le trésor : des pots en plastiques, en verres, en cartons… Tous sont uniques par leur taille et la couleur des étiquettes. Il a même recollé l’opercule sur chacun d’eux . Le seul endroit où son attention peut se relâcher se situe devant le réfrigérateur.  Il ne prend jamais la peine de sortir les courses de son cabas. Hop! Tout va au frais : légumes, fruits, boîtes de conserve, produits ménagers. Comme cela, il est certain que tout se conservera, sans pourrir.

Son endroit préféré dans son petit palais est la salle à manger. Depuis l’enfance, il a une passion pour les animaux. Pourtant, ses parents tenaient à ce qu’il assiste à des séances avec un psy. Pour quelle raison ? Juste parce qu’il aime admirer les bêtes.

Il a 64 ans et a eu onze chiens et treize chats. Leurs têtes sont empaillées et accrochées sur les quatre pans de murs. Sur la table de la salle à manger, sont entassées les pêches classées dans des bocaux en formol : poissons, grenouilles, têtards, crapauds, canetons… Pour clôturer, il y a ses divins petits insectes : fourmis, araignées, mille-pattes, mouches… D’ailleurs, c’est bizarre et il ne sait pas pourquoi, mais seuls les cafards sont les animaux vivants qui grouillent dans son antre sans finir dans ses bocaux.

Dans une cage en verre, il essaye d’en dresser un. Mais, rien à faire, il n’obéit pas à ses ordres simples : avance, arrête-toi, fais le mort ! Pourtant, il en passe du temps avec lui; mais le cafard, il ne le maîtrise pas. On ne peut pas tout avoir.