Dès le titre, Carmen donne le ton. Un récit solide, clair. Un subtil mélange de sérieux et d’humour. Bonne lecture !
Crois
Qui serait capable d’embrasser son sort, sachant ce qu’il lui est réservé ? Certainement beaucoup. Beaucoup trop. Moi, j’ai refusé de manger de ce pain-là. C’était écrit, alors j’ai obéi au Créateur. Par amour de lui, par amour des hommes, j’ai accompli ma destinée.
Moi, je reverrai éternellement le silencieux chagrin de ma mère, les larmes de toutes les femmes du monde. Elles seules savent la douleur de perdre la chair de leurs entrailles, la détresse de voir disparaître un être tant aimé. La gloire, la célébrité, les louanges ? je ne les ai jamais recherchées. Elles sont venues à moi, malgré moi. Il m’a fallu apprendre à vivre avec ce lourd fardeau sur mes épaules, un poids de chaque jour. Et plus de deux mille après, qu’en reste-t-il ? Ma passion passionne-t-elle encore ? Par ma vie, je vous ai offert le Livre. Je me demande si vous le lisez toujours, si vous osez le posséder sans la crainte des regards suspicieux, dédaigneux. Moi-même, peux le comprendre. L’essentiel de mon enseignement vous l’avez parfois tant détourné, dévoyé afin de satisfaire des petits égos misérables, des soifs de pouvoirs démesurées. Aujourd’hui, je suis fatigué d’une histoire qui n’a pas donné les espoirs tant attendus. De ma hauteur, je regarde ce qui m’entoure et je pleure de chagrin, de colère, d’impuissance. J’ai beau espérer que rien n’est vraiment perdu puisqu’un seul homme de sauvé, c’est toute l’humanité qui l’est, je crains d’avoir échoué au final.
Il y a des jours, où je réfléchis à ce qu’aurait pu devenir le monde si je n’étais pas venu sur terre, ou si j’avais simplement désobéi à Dieu. Marie-Madeleine me plaisait bien. J’aurais aimé faire un bout de chemin à ses côtés, au lieu de cette prison dans laquelle je suis enfermé depuis deux millénaires. J’ai froid dans cette église désertée de plus en plus. Je n’entends plus guère les battements de cœur des fidèles réchauffant le mien à chaque célébration. Il n’y a plus que toi, bedeau pour apporter un peu de lumière dans la maison de mon père. Ce dimanche, tu allumes la seconde bougie de l’avant, près de la crèche aux jolis santons colorés. Dans tes yeux, c’est la ferveur que j’y vois telle qu’elle régnait dans les esprits d’autrefois.
Mais, Seigneur, que t’arrive-t-il ce matin ? Tu es d’humeur sombre, tu ne fais rien d’autre que de bougonner dans ta barbe. Je t’entends bien râler quelque fois, surtout lorsque la messe n’attire que trois petites vieilles en quête d’absolution mais là je sens que quelque chose te chagrine. Tu sais, j’ai l’air un peu bête comme ça, mais je te regarde depuis longtemps sur ta croix. Certains jours, tu gigotes tant que j’ai peur qu’une écharde ne te pique. Rassure-toi, je suis le seul à l’avoir remarqué. Je suis un homme qui possède le sens du détail. Au fond de moi, je te comprends. Quand je vois ce que tu as accepté de subir pour le salut de l’humanité et quand on voit le résultat, il y a de quoi avoir quelques regrets. Le 24, il va y avoir foule dans cette église pour célébration de ta nativité, et après ? Ce sera de nouveau le silence qui tombera entre ces murs. Une fois partis, les fidèles ne vont penser qu’à faire bonne chère, à rêver aux cadeaux qu’ils vont recevoir et offrir, tout en expliquant aux enfants que c’est le père Noël qui fait tout le job. Rien n’est juste pour toi dans toute cette histoire. Si ça ne tenait qu’à moi, je les enverrais aller se faire crucifier, pour qu’ils réalisent ce que tu as pu souffrir pour eux. Bande d’ingrats ! Tu veux que je te dise, mais à toi seul, j’ai plus de respect pour les athées que pour ces hypocrites. Au moins, ils sont honnêtes envers eux, envers les autres. Ils ne croient à rien mais demeurent fidèles à leurs convictions.
Tu vois J C, si je le pouvais je te ferais descendre de là-haut, pour partir sur les routes comme tu le faisais autrefois. Toi, le prophète, moi, le disciple.
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