« Le Parfum du Parcher »

C’est Annie qui partage aujourd’hui une « madeleine » du cher pays de son enfance. Bonne lecture ! 

Le Parfum du Parcher

La Mustang quitte l’interstate 395. Elle file sur la route secondaire qui se faufile à travers le Parc national d’Acadie. Plus de cinq heures déjà que je roule. Ce voyage est interminable. Pourtant, il fallait bien que j’aille à Boston signer ce contrat. A la sortie de Somesville, je décide de faire une pause. J’arrête mon petit bolide, histoire d’admirer la campagne. La nature est si belle en cette saison. Debout à côté de ma voiture, mon cœur se met à battre plus fort que d’habitude. 

Tout d’un coup, le souvenir ressurgit. Cette odeur qui flotte alentour. Cette odeur qui m’envahit. Cette odeur qui me pénètre. C’est celle du foin coupé. Je ferme les yeux. Me voilà projetée cinquante ans en arrière ! Au Parcher. Un hameau, près de Vallouise dans les Hautes-Alpes. Chaque été, mes parents y louaient, pour quelques sous, un vieux chalet montagnard. J’y retrouvais Geneviève, la fille du paysan propriétaire des lieux. Elle et moi, nous avions le même âge, une dizaine d’années, les mêmes tresses, les mêmes jeux. Nous passions nos journées ensemble à garder les chèvres, à construire des barrages avec des cailloux et des bouts de bois dans le maigre torrent qui dégringolait du Mont-Brison. A jouer à la messe ou à la marchande dans la chapelle abandonnée. Gourmandes, nous picorions les haies de cassis et de groseilles à maquereau. Nous nous amusions … avec pas grand chose !

Quand la météo était au beau fixe depuis quatre-cinq jours, son père, Jeannot, décidait de faire les foins.Tout le monde mettait la main à la pâte. Son fils, Gilles, un grand gaillard d’une quinzaine d’années qui était sur le point d’entrer dans la Marine à Marseille. Son frère, Jojo, cancre à l’école et donc déjà berger, à seulement quatorze ans. Son cousin, dit Le Muet, parce qu’il l’était malheureusement pour de vrai. Et, mon père, bien sûr aussi ! 

Le jour J, tout ce petit monde partait aux champs. Les hommes fauchaient. A la main, armés de faux bien affûtées et de faucilles pour les petits coins de la prairie. La coupe ne devait pas être trop basse pour éviter le salissement de la terre et les restes de crottins. Geneviève et moi, on devait se tenir loin. Assises par terre, on observait, sous nos chapeaux de paille, le ballet inlassable des faux dessinant des demi-cercles dans l’herbe. En plein cagnard, les fourrages sont plus riches en sucre et l’après-midi, ils sèchent plus vite. Angèle, l’épouse de Jeannot, « la Thérèse », sa soeur – encore vieille fille à quarante ans – et ma mère étalaient à la fourche le fourrage en couches régulières. Les jours suivants, notre petite troupe arpentait les parcelles pour retourner les fanages. Indispensable de bien les aérer. Avec conviction, Geneviève et moi, nous courions dessus, dans tous les sens. Indispensable de les piétiner soigneusement pour les tasser au maximum. Une fois sèche, hommes et femmes ramassaient la coupe au râteau pour la déposer sur des carrés de toile de jute avant de les ficeler. Puis, les hommes balançaient les balles de foin sur la charrette, tirée par Mickey, un vieux cheval à la crinière bien noire. En fin d’après-midi, on rentrait en cortège à la ferme, nous deux perchées en haut du chargement, fières comme Artaban ! Le soir, rituel propreté dans la cuvette émaillée, il n’y avait ni douche, ni salle de bain. Je pleurnichais à cause des égratignures qui maculaient mes gambettes !

Pour autant, dès le lendemain, je retrouvais Geneviève pour d’innombrables parties de glissade sur les balles de foin engrangées. Loin de me douter que je m’imprégnais de l’odeur de foin, pour toujours !

A ce moment, mon cœur pleure, débordant d’émotions. Cette fragrance qui m’enivre, me rappelle la tendresse, l’insouciance de l’enfance, mais aussi que tous ces êtres chers ne sont plus de ce monde. Je me dois d’interrompre au plus vite ma rêverie mélancolique. Retournerai-je seulement un jour en France ? Ma vie est ici maintenant. Il est temps de reprendre le volant. De refermer la parenthèse. Troublante madeleine ! 

Déjà, j’aperçois au loin la silhouette de ma maison. Encore quelques virages et je serai arrivée. Chez moi. Chez nous. Prête à retrouver les miens.

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