« La crise »

Aujourd’hui, nous vous invitons à découvrir l’histoire imaginée par Carmen. Un récit convaincant, plein de mystère qui devrait vous surprendre. Bonne lecture ! 

La crise

Horace était ce qu’on nommait communément un employé modèle. Ses fonctions de portier et confident d’un immeuble cossu le rendait indispensable dans ce microcosme bien ordonnancé. Sa journée démarrait toujours par un lever ritualisé.

– Réveil aux aurores.

– Série d’exercices de culture physique

– Passage éclair à la salle de bain

– Petit-déjeuner composé d’un grand bol de café noir sans sucre, de deux larges tartines de pain beurre et confiture

Jamais il ne descendait sans ce repas matinal car souvent il ne pouvait prendre de pause à midi. En homme consciencieux, si un résident requerrait ses services Horace ne refusait nullement de les satisfaire. Ce matin n’allait pas ressembler aux précédents, mais ça notre homme ne le savait pas encore.

Lorsqu’il porta à ses lèvres son bol de café chaud, il se brûla la gorge. Le liquide avait coulé directement au fond, telle une cascade. Il pesta contre lui-même et continua son déjeuner. Il prit une belle cuillerée de confiture de fraise, l’étala sur son pain généreusement beurré et voulut lécher le reste pour ne rien perdre de la douceur sucrée. Et là, impossible, il ne le pouvait pas. Stupéfaction. Il voulait sortir sa langue et rien. Rien d’autre que des dents dans sa bouche. Plus de langue, rose, mobile, charnue, un simple trou béant dans cette cavité naturelle. Hier encore, elle était là bien à la place qu’elle occupait depuis toujours. Lui aurait -on arraché durant son sommeil ? Cela ne se pouvait, il ne présentait pas le moindre signe d’une quelconque effraction buccale. Pourtant, cette langue qu’il avait toujours eue, n’était plus là, un peu comme si elle n’avait jamais existé.

Horace réfléchissait sans parvenir à trouver une explication à cet état de fait. Le mystère était entier. Finalement, il finit par penser qu’elle avait pris le large sans rien ne demander à personne. Mais comme il lui fallait tout le même prendre son service, il revêtit son uniforme de portier à gros boutons dorés, aux épaulettes saillantes et une casquette à large visière. Puis, il descendit dans le hall d’entrée s’installer derrière son comptoir d’accueil. Il se trouvait là hier soir, lorsqu’il avait passé pour la dernière fois sa langue sur ses dents.

Essayant tant bien que mal d’articuler des sons audibles, Horace prétextant un gros mal de gorge utilisa autant que faire se peut une tablette numérique afin de mieux se faire comprendre. Mais, il avait beau saluer tous ces gens qui allaient, venaient, il avait toujours dans un coin de sa tête la mystérieuse disparition de sa langue. Horace se préparait à sa pause méridienne, quand son regard se porta sur une jeune femme presque une enfant qu’il n’avait pas vu entrer. Il ne la connaissait pas, ce n’était donc pas une résidente. Elle avait une silhouette gracile mais néanmoins d’allure sportive. Elle était vêtue d’un baggy noir, d’un croptop lui découvrant un nombril percé d’une casquette des Lakers et d’une paire d’Air Jordan rose. Pourtant au fond de lui, Horace commençait à penser qu’il l‘avait déjà vu quelque part. Mais où était-ce donc ? Oui, oui la mémoire lui revenait petit à petit. Le portier se trouvait face à la langue qui hier encore se trouvait bien au chaud entre ses dents et son palais.

-Bon sang !! Jeune fille vous êtes, tu es ma langue !

Interpelée, la langue se figeât et dévisageât l’homme qui venait de l’apostropher.

-On se connaît ?  dit-elle dédaigneuse.

– Oui et pas qu’un peu tu es ma langue, ma langue à moi.

– Calme toi ! Je n’appartiens à personne et surtout pas à un vieux daron. Et arrête de m’envoyer des missiles, c’est dégueu.

Horace bouillait de colère vis-à-vis de l’impertinente qui osait lui tenir tête.

– Insolente je vais t’app’ end’ e la politesse moi. ‘eviens à la maison, enfin dans ma bouche.

– Sale dégoûtant qui veut que je lui fasse des trucs pas nets dans le bec beurk !!

A cet instant, Horace dépité comprit que sa langue avait tout simplement fait une fugue. Une de ces fugues adolescentes si fréquentes à un âge de la vie où l’on se cherche. Alors prudemment, il choisit de baisser le ton pour ne pas la braquer davantage. Il ne tenait pas vraiment à la faire fuir une fois encore.

– Bon, soit ‘aisonnable. Tu as voulu fai’re un petit tou’. C’est no’ mal. Je comp’ends pa’faitement tes envies d’aller voi’ le vaste monde. Moi aussi je ‘êvais de g’andes aventu’es. S’il te plaît ‘este avec moi.

La langue à la moue boudeuse semblait s’apaiser un peu. La rebelle écoutait les paroles de l’homme bafouillant.

– Tu veux que je revienne ? Et si je ne veux pas moi ? J’ai envie de vivre ma vie et non plus la tienne, cachée, terrée sans jamais ou quasiment voir le jour. Et tout le temps je n’entends que des mots blessants, des horreurs à mon encontre. Langue de vipère, donner sa langue au chat, langue bien pendue. Et moi dans tout ça ? Tu as pensé à ce que je peux ressentir ? Non bien sûr, Monsieur est trop occupé, à bavarder, colporter des ragots, raconter les derniers potins de l’immeuble. J’ai grandi et tu ne l’as même pas remarqué car jamais tu ne me regardes. Fini d’être sage. Je vis ma vie désormais.

Horace écoutant sans mot dire, se souvenait de sa propre adolescence, le pire moment de son existence. Les claquements, de portes, les brusques colères, les velléités d’indépendance, tout ça sa langue venait de les lui remettre en mémoire. Il se dit qu’il allait devoir composer avec cette période un peu délicate.

– Bon si tu ‘eviens à la maison, je p’omets que je te laisse’ais so’tir le soi’ quand tu le voud’as. Tu pou’’ras aller voi’ tes amis. Mais, s’il te plaît, le matin tu ‘ent’e d’acc !!

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