« La rame »

C’est Adélaïde qui vous raconte aujourd’hui avec une immense subtilité… une rencontre dérangeante dans un lieu familier. Bonne lecture !

La rame

Bagneux – Lucie Aubrac

La sonnerie stridente annonçant la fermeture des portes retentit, et le métro s’ébranle. Une de ces nouvelles rames automatiques, avec moins de places assises. Il est tôt, seules quelques personnes parsèment les sièges à intervalles plus ou moins réguliers. Un silence étonnant règne : chacun est plongé dans ses pensées, son livre, sa musique, son carnet.

Elise s’est installée à contre-sens, la tête contre la vitre. Elle regarde le mur du tunnel défiler, tout en battant avec son pied au rythme de Flowers de Miley Cyrus qui sature ses écouteurs. Elle sert contre elle un sac à dos à moitié vide.

Barbara

Un cri déchire le silence : « Elise ! ». Une petite silhouette bleue s’élance vers le carré de siège, prend Elise dans ses bras et lui claque une bise sur chaque joue.

– Salut, Margault, t’es trop belle aujourd’hui !

– Oh merci, t’es trop belle toi aussi.

Les sourires sont lumineux alors que chacune détaille l’autre, un croc-top bleu pour l’une et noir pour l’autre, et un jean large.

– T’as fait le devoir de français ? J’suis pas sûre d’avoir bien compris la méthodo de la dissert.

– Moi non plus. Ça va encore faire une sale note pour la moyenne du bac et l’année ne fait que commencer.

Les voix des deux adolescentes traversent les rames, animant et dérangeant la multitude à peine réveillée.

Mairie de Montrouge

Le métro se remplit, il reste peu de places assises, et certains restent debout.

Deux silhouettes rejoignent Elise et Margault dans leur carré. Un vieil homme et une troisième adolescente, le pull large, l’air renfrogné. Elle serre dans ses bras les deux autres filles et s’affale dans son fauteuil, celui qu’elles lui ont gardé. Le vieil homme à côté d’elle déborde un peu sur sa place. Elle regarde ses deux amies, désigne son nez avec son index, le retrousse dans une grimace et tourne son regard éloquent vers l’homme. La chaleur ne réussit pas à tout le monde.

Denfert-Rochereau

Une foule sort et une autre rentre. Les places respirables se font rares. Mais Elise, Margault et Valentine semblent imperturbables. Les deux premières papotent, infatigables : le devoir de SVT est trop dur, la prof d’anglais est complétement folle, Sven est trop beau, qu’est-ce qu’elle pourrait trouver comme excuse pour lui parler ? les parents sont insupportables. Et, d’ailleurs, elles ont regardé le dernier épisode de Koh-Lanta ?

Margault s’agite, jette ses longs cheveux blonds sur son épaule, tripotent ses grands colliers. Elise participe et sourit avec douceur. Et Val, elle surveille.

Vavin

Elle l’a remarqué dès qu’il est arrivé, dans le fauteuil du carré d’à côté. Un homme, la quarantaine, chino, chemise blanche, sûrement en chemin pour aller travailler. Il a jeté un premier regard sur Elise et Margault, avec le boucan qu’elles font, pas étonnant.

Puis un second regard qui s’attarde sur Elise. Et ce regard a mis Val mal à l’aise.

Montparnasse-Bienvenüe

L’homme ne descend pas.

Saint-Placide

Elise a croisé le regard intense de l’homme. Une millième de seconde. Elle a continué à rire, à répondre. Mais ses épaules se sont légèrement voûtées. C’est plus fort qu’elle, ses yeux se portent à nouveau sur lui. Et, à nouveau, elle croise ses yeux marrons, ainsi qu’un léger sourire. Puis, elle voit son regard qui dérive sur son tee-shirt noir.

Vite, vite, Elise retourne sa tête vers Margault. Les épaules sont définitivement voûtées et le sac-à-dos est remonté devant sa poitrine. Elle sourit toujours, mais son insouciance n’est plus vraiment là, elle s’efforce de ne plus tourner la tête vers lui.

Odéon

Plus que trois arrêts avant le changement. Val surveille tour à tour l’homme et Elise. Elle ne voit pas quoi dire, alors elle attrape la main d’Elise et la serre fort.

Saint-Michel

Plus que deux arrêts, Margault, elle, est inarrêtable.

Cité

Plus qu’un arrêt. Les cœurs de Val et Elise battent la chamade.

Châtelet

Elles bondissent toutes les trois sur leurs pieds. L’homme aussi. Il fait un pas vers Elise, une petite silhouette bleue se glisse devant lui en souriant. Une grande silhouette brune la rejoint les bras croisés, elle le fixe une seconde. L’homme recule.

Elise est sortie, une silhouette l’encadrant de chaque côté. Les trois adolescentes se tiennent les mains si fort qu’elles blanchissent.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Créez un site ou un blog sur WordPress.com

Retour en haut ↑

%d blogueurs aiment cette page :