« Le Rideau »

C’est l’incipit de Fred Vargas « Dans les bois éternels » qui a inspiré Danielle ! Bonne lecture !

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En coinçant le rideau de sa fenêtre avec une pince à linge, Lucio pouvait observer le nouveau voisin mieux à son aise. C’est vrai que dans le village de Montaigu, il ne se passait pas grand chose. Plutôt que village, je devrais dire hameau. Une douzaine de maisons se faisant face autour d’une placette herbeuse, où le beau temps venu, les anciens sortaient les chaises paillées et ressassaient les histoires du temps passé. Les anciens partent en maison de retraite ou au cimetière, un aller simple sans retour.

Bientôt il ne resterait plus que lui, Lucio, arrivé il y a une vingtaine d’années dans ce coin paisible de la Vienne, fuyant un Paris trop pollué, et une histoire d’amour où il se perdait. D’avoir retrouvé la maison de sa grand-mère lui avait remis la tête et le cœur à l’endroit. La pêche à la truite, la cueillette des champignons, son jardin potager égayaient ses journées. Le soir venu, il s’installait dans son fauteuil pour savourer le disque qu’il avait pioché dans son abondante collection.

Quelle ne fut pas sa surprise de voir arriver, un beau matin de juin, une camionnette précédée d’une Jaguar rutilante, qui s’arrêta en face de chez lui. Les volets de la maison de Madame Moreau, fermés depuis que leur propriétaire était partie pour sa dernière demeure, s’ouvrirent dans un claquement joyeux. Toute la matinée, un va-et-vient rythmé insuffla un peu de vie au village. Sans nul doute, Montaigu venait de gagner un habitant, à en juger par le nombre de cartons qui transitaient du camion à la maison.

Lucio n’avait pas l’âme d’un concierge, mais quand même, il aimait bien savoir ce qui se passait en face de chez lui. Pour observer tout à sa guise, il coinça le rideau de sa fenêtre avec une pince à linge. Après les cartons, ce fut au tour des meubles d’envahir la maison de Madame Moreau. Même un piano y trouva place.

Lucio était ravi, et en même temps inquiet de voir bouleversé le calme qui s’était installé dans sa vie. De son poste d’observation dans le fauteuil du salon, il avait une vie directe sur le salon du voisin, où commençaient à s’agencer les meubles. Pour l’instant, Lucio n’avait vu que les déménageurs. A quoi ressemblait son nouveau voisin ? Cette question le taraudait. S’approchant de la fenêtre, il aperçut un bel homme, grand, svelte, vêtu d’une élégante redingote et arborant une superbe crinière blanche. Son visage ne lui était pas inconnu. En fouillant dans sa mémoire, il reconstitua le puzzle.

Son nouveau voisin n’était autre que Armand Delacroix, le célèbre chef d’orchestre. Que venait faire cette célébrité à Montaigu ? S’agissait-il d’une retraite temporaire de la scène ? Il y avait aussi ces bruits qui circulaient : Armand Delacroix faisait l’objet de plaintes pour harcèlement. Peut-être avait-il choisi Montaigu pour se faire oublier quelques temps. 

Lucio avait beau scruter la fenêtre du voisin, il n’avait pas encore vu la belle Nora Rubinstein, dont il était secrètement amoureux. Avait-elle quitté son mari, lassée de ces scandales à répétition ? Le mystère s’épaississait.

La pince à linge remplissait bien son office, offrant à Lucio une vue plongeante sur le salon d’Armand Delacroix. Il le voyait s’affairer, donnant des instructions aux déménageurs, qui vidaient le contenu des cartons dans les meubles, ou sur les étagères des bibliothèques. Enfin, le remue-ménage prit fin. Le camion repartit, emmenant avec lui les cartons vides. Le maestro s’assit devant son piano.

Lucio se préparait à savourer la musique, lorsqu’une moto s’arrêta dans un bruit d’enfer. Il n’en crut pas ses yeux. De l’engin rutilant, telle une gazelle, bondit une belle jeune femme, toute de cuir vêtue. Elle enleva son casque d’où s’échappèrent en cascade des boucles blondes. Nora Rubinstein venait d’arriver à Montaigu. Elle n’avait donc pas quitté son mari. Tous ses espoirs s’évanouirent….

 

 

 

 

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