« Dossier Rosebud »

Aujourd’hui, c’est Annie qui vous emmène dans le monde de la nuit. Elle s’attaque à une affaire multiple au twist final insoupçonné. Bonne lecture à tous les insomniaques, noctambules… et à tous les autres, bien sûr ! 

Dossier Rosebud

Quinze jours déjà que les médias martèlent l’arrivée imminente de la canicule. Ça y est, elle est là ! Pas un nuage à l’horizon. Le ciel est inlassablement bleu, comme la façade de l’atelier de Jacques Majorelle à Marrakech. Le mercure monte. 37, 38… 40 degrés. Il fait désespérément chaud, très chaud, partout, même à l’ombre.

Du haut de la Butte, Paris semble miniature et étrangement silencieux. La ville Lumière serait-elle en train d’étouffer après cette journée caniculaire ? Tour à tour, la Bibliothèque de France, Notre-Dame, le dôme de l’Opéra et celui des Invalides sont en feu. La Tour Eiffel se cabre et résiste. Hors de question pour elle de ressembler à un squelette noir, brûlé par le soleil ! Fatigué de sa rude journée, l’astre de feu abandonne sa course sous l’Arche de La Défense.

Escaliers et pelouses montmartrois retrouvent leur solitude originelle. Le funiculaire s’immobilise en gare, tandis que le manège de chevaux de bois arrête ses ritournelles enfantines avant de déployer sa tente pour la nuit. L’épicerie Collignon de la rue des Trois-Frères ferme ses portes. Les étals de la rue Lepic se replient. Au fait, qu’est devenue Amélie, la serveuse du fameux Café des Deux Moulins ? A-t-elle enfin trouvé le bonheur ?

Il se fait tard. Les pigeons s’envolent à tire d’aile pour regagner leur précieuse cachette dans les tourelles du Sacré-Cœur. Quelques moineaux piaffent encore aux abords des poubelles vomissant papiers gras, sandwiches et biscuits abandonnés par des hordes de touristes, visiblement plus assoiffés qu’affamés, en cette journée brûlante.

Il est presque minuit, place Blanche. C’est l’heure où les accordéoneux cèdent la place aux jazzmen.

Derrière son allure de bistrot, le Caveau de Billie fait honneur au bebop, au swing et à tous ces styles de jazz américains, emblématiques de l’entre-deux-guerres. Le lieu est atypique. Brasserie en haut, club de jazz en sous-sol. Sous la cave voûtée vibrent saxophones, piano et trompettes. Dizzy Gillespie, Nina Simone, Armstrong sont de la partie pour célébrer cette nouvelle Fête de la Musique ! Le club, l’un des seuls où l’on puisse danser, est victime de son succès. Ce soir, il est bondé. Pause cigarette sur le trottoir pour les fumeurs qui poursuivent, un verre à la main, leurs déhanchements endiablés. Chaude ambiance, dedans comme dehors ! Ça swingue, sec !  

Les phares des voitures s’immobilisent sur le boulevard de Clichy. Pourtant, les feux sont au vert. Bizarre. Que se passe-t-il ? Une moto file dangereusement à contre-sens, puis slalome entre les platanes du terre-plein central, en direction de Pigalle. Un concert de klaxons démarre et fait oublier les rythmes jazz et funk. La nuit se fait électrique. Une atmosphère de confusion profonde s’installe. Au rythme des néons clignotants du sex-shop à côté du Moulin Rouge, on devine par terre un corps revêtu d’un string, qui passe inlassablement du rouge au blanc sur le bitume noir comme le charbon. 

La silhouette est fine. D’un blanc cadavérique. Vu la cascade de boucles rousses qui déferle sur son visage, il est sûr qu’il s’agit d’une femme. Jeune. La trentaine, peut-être. Les yeux sont révulsés. Son bras gauche est tordu derrière le dos, sans doute a-t-elle été retenue de force par un molosse. Sa main droite est crispée sur une petite pochette ornée d’une bouche en forme de cœur brillant de mille feux, des cristaux Swarovski. Le corps repose sur le côté, en position fœtale ; seul en dépasse un escarpin vernis rouge, talon aiguille et semelle compensée. La scène semble figée, pourtant à y regarder de plus près, un mince filet rouge écarlate perle, puis coule le long de son cou. Bientôt, sa tête baigne dans un magma visqueux et sanguinolent qui dégouline goutte à goutte dans le caniveau… juste à quelques centimètres d’un canif, genre Opinel.

Il est exactement 5:28 h du matin.

Des freins crissent. Des portes claquent. En une fraction de seconde, deux silhouettes sortent d’une voiture banalisée de la BAC du 18e, gyrophare toujours allumé, et foncent vers le corps inanimé, sur le trottoir. L’un des hommes gueule dans son téléphone : Urgence. Envoyez ambulance à angle rue Lepic – boulevard de Clichy ! Recherchez deux-roues, individu casqué, direction Pigalle ! C’est clair ?

  • Je suis trop vieux pour toutes ces conneries ! On va y passer la nuit, enfin ce qu’il en reste ! Quand je pense que je devais être de repos demain ! C’est foutu ! Ma femme va encore m’engueuler, gémit le policier enquêteur.
  • Arrête de râler, Duval ! Mets une couverture sur la petite ! Elle a bien douillé ! Du coup, elle ne fait plus plaisir à regarder ! Sécurise la scène, c’est clair ? ordonne le commissaire Pasquoux.

Le policier s’exécute. Le commissaire prend la scène du crime en photos, puis ramasse l’arme ainsi que le sac à main de la victime pour les glisser dans des sacs plastiques. Il hurle en entrant dans le sex-shop :

  • Police, personne ne sort ! C’est clair ? C’est vous le propriétaire ? Du coup, vous connaissez la victime ? Ah, elle s’appelle Rosebud ? Elle était dans la salle de pole-dance ? Y a encore des clients ? Des filles ? Du coup, fermez la boutique ! Vous allez vous expliquer au commissariat ! C’est clair ?

Pendant ce temps… le corps sans vie de la jeune femme est emporté vers l’hôpital le plus proche tandis qu’une équipe de la police scientifique pénètre dans le sex-shop. 

  • Ratissez-moi la boutique et concentrez-vous sur la salle ! Tenez, voilà l’arme du crime ! Elle était dehors par terre dans le caniveau … et le sac à main de Madame ! Du coup, je veux votre rapport demain midi, c’est clair ? Allez Duval, on rentre au bercail avec Monsieur ! 

Au commissariat, Duval prend la déposition du propriétaire du sex-shop tout en maugréant dans sa barbe : « Encore un week end pérav,…  saleté de maquereau…  faut qu’il casque cette raclure… », puis congédie le témoin. « Signez ici, vous pouvez rentrer chez vous ! Vous en avez de la chance, humm, pas comme moi, grrr… »

Sur le coup de onze heures, le commissaire Pasquoux, qui a pris un peu de repos après cette nuit quelque peu agitée, arrive dans son bureau, un café à la main.

  • Toujours là, Duval ? Du coup, au rapport ! Que vous a raconté le témoin ? 
  • La victime s’appelle Natasha Ivanov, alias Rosebud. Vingt-deux ans. Elle bosse chez Steven Leroy depuis quatre ans comme danseuse et escort girl. Avant, elle faisait des passes, au bois de Boulogne, puis rue du Colisée. Hier soir, elle est sortie avec un dernier client, juste après son show. Tenez, chef, c’est pour vous !

Le commissaire Pasquoux arbore un large sourire. « Ça, c’est du bon boulot ! » Il ouvre l’enveloppe marquée « Dossier Rosebud », en sort le rapport d’autopsie.

  • Le médecin-légiste fait remonter le décès aux alentours de 5:20 h. Douze coups ont été portés à l’aide d’un objet contendant dans le ventre. Vu l’angle des coups, l’agresseur est gaucher. Il est plus grand que la victime vu les marques de strangulation. La victime était enceinte de huit à neuf semaines. Voyons maintenant les conclusions de la police scientifique… Le sang sur le couteau est bien celui de la victime… Les autres analyses ADN sont en cours. Du coup, qu’est-ce qu’ils ont trouvé dans le sac à main ? Des clés, carte de crédit, liasse de billets de 50 et de 100 €, au total 850 €, un téléphone portable en cours d’analyse – dernier bornage à 5:15 h. C’est clair ! Duval, on a identifié le motard ?

Et, qui était son dernier client ? Il a sans doute voulu l’embarquer pour finir la nuit, elle a voulu lui résister et ça a mal fini ! 

  • Tout est en cours, chef ! La grosse cylindrée a été retrouvée Gare Saint-Lazare. Faut encore qu’on retrouve le gars ! Les caméras de surveillance l’ont repéré. Le fuyard a pris un train pour Poissy. 

Quant à mettre la main sur son dernier client, ce sera pas facile. C’est apparemment un gars de passage sur Paris. D’après Leroy, les petits jeunes viennent se faire dépuceler et en redemandent au moment de payer. Mais, ils ont pas de pognon. 

  • Du coup, on file à Poissy, Duval ! Prévenez la PJ sur place pour qu’ils localisent le suspect ! C’est clair ?

Arrivés devant un pavillon de banlieue tout en meulières, le commissaire Pasquoux sonne à la grille en criant : « Police, ouvrez ! Mandat de perquisition ! »

Visiblement terrorisée, une jeune femme habillée d’une légère nuisette, rose et noire, entrouvre la porte.

  • Vous êtes seule ? Vous conduisez une moto ? Vous travaillez à Paris ? Boulevard de Clichy ? Asseyez-vous, je vais vous poser deux ou trois questions ! Vous, les gars, au boulot ! Visitez la baraque ! C’est clair ? Vous vous appelez… ?
  • Regardez, Chef, y en a plein la cave ! Entre 500 et mille sachets de cocaïne !
  • Du coup, chère Madame, va falloir m’expliquer, c’est clair ?
  • Je sais pas, moi…

Le commissaire Pasquoux poursuit son interrogatoire de la jeune femme en pleurs, remonte les traces de son enfance, lui fait raconter ses rêves, ses projets, ses amours… En fin d’après-midi, Vanessa craque. 

  • Rosebud ne voulait plus vendre de la came, juste faire de la pole-dance et de l’escorting. Tous les soirs, le boss lui serinait :  « Dans ce pays, il faut d’abord faire le fric. Et quand tu as le pognon, tu as le pouvoir. Et quand tu as le pouvoir, tu as toutes les bonnes femmes. Toi, je te tiens, ma petite ! » Sauf qu’hier soir, il a pété les plombs. Quand mon client est parti, je me suis rhabillée. En sortant de mon salon, je l’ai entendu hurler : « Tu fais ce que je te dis ou je te pique ». Il s’est acharné sur elle. Rosebud s’est traînée dehors. C’était horrible. Il y avait du sang partout. Quand il m’a vue, il m’a balancé le couteau et m’a dit de dégager. J’étais complètement déboussolée. Vous croyez qu’il va me tuer, moi aussi ?! 
  • Steven Leroy habite ici, avec vous ? 
  • Oui. On allait se marier, cet été. 
  • Duval, convoquez-moi Leroy au commissariat, c’est clair ? Et vous, habillez-vous ! Nous allons prendre votre déposition au commissariat.

Une heure plus tard, le commissaire Pasquoux se rend, d’un pas assuré, dans la salle d’audition numéro 4.

  • Steven Leroy, vous maintenez votre première déposition ? Rien à ajouter ? Signez, là, s’il vous plaît !

Il s’exécute.

  • Steven Leroy, vous êtes arrêté pour homicide volontaire et trafic de stupéfiants. 
  • Non, c’est pas moi qui l’ai tuée ! Je vous le jure ! C’est son petit gigolo !
  • Ah, vraiment ? Va falloir m’expliquer car ce sont bien vos empreintes qu’on a retrouvé sur le cou de la victime ! Donc, son dernier client n’a strictement rien à voir dans cette affaire ! A-t-il bien même existé ? Vous vouliez me mener en bateau ! Vous vous foutez de moi, Leroy ! Vous aggravez votre cas, sans parler du stock de cocaïne à votre domicile. Je vous laisse le temps de réfléchir à tout cela ! Je reviens !

Le commissaire Pasquoux se dirige vers le box numéro 6.

  • Vanessa Letellier, vous maintenez votre déposition ? Rien à ajouter ? 

Silence. 

  • Signez, là, s’il vous plaît, avec la date d’aujourd’hui !

Elle s’exécute.

  • Vanessa Letellier, vous êtes arrêtée pour homicide volontaire et trafic de stupéfiants.
  • Y a erreur ! C’est Leroy qui l’a tuée ! C’est lui qui trafique ! Moi, j’y suis pour rien dans tout ça ! 
  • Pas si sûr, ma petite Madame ! … Le meurtrier est gaucher… comme vous. On a retrouvé votre ADN sur l’arme du crime ET sur la victime. En fait, vous ne supportiez pas que Natasha Ivanov, alias Rosebud, soit enceinte de votre futur mari, n’est-ce pas ? Ni qu’il vous ait trompé ! Vous et Steven Leroy avez donc décidé de la tuer, c’est clair ! Coffrez-moi tout ce monde, Duval ! A demain !

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