« Tempête »

Être cavalier, c’est relever en permanence des défis… Carmen vous invite à partager un moment inspiré de son vécu. En selle, les ami.e.s ! Bonne lecture !

« Tempête »

A gauche de la vaste sellerie, se tiennent en rang serré, des ballots de paille blond de blé. Sur l’un deux, sont posés une bombe de velours marine râpée, une fine et longue cravache de cuir noir tressé et des guêtres autrefois bien blanches, désormais usagées. Tout l’équipement du parfait cavalier respire l’occasion bon marché. Des hirondelles vont et viennent, comme s’il n’y avait personne, dans la sellerie. Elles ont des petits à nourrir, alors peu leur importe les allées et venues des cavaliers. Une poussière lourde, grise faite de terre, de sable et de poils des chevaux se pose partout où elle le veut. Elle restera là pour longtemps car c’est peine perdue que de chercher à s’en débarrasser.

Ici les odeurs s’entremêlent…le foin, la sueur des bêtes et des hommes, le cuir des bottes.

Deux rangées de selles attendent que l’on vienne les emporter et les filets aux mors d’acier, pendent sur le mur opposé. Les tapis, quant à eux, sont superposés. Pour se servir, il suffit de piocher celui du dessus et tant pis s’il est moche ou abîmé. Des éperons aux reflets argentés, se tiennent tranquilles sur une étagère haute, histoire de dissuader ceux qui seraient tentés de les utiliser sur des montures indociles.

Je me dirige droit vers la selle correspondant au cheval que le moniteur vient de m’affecter pour la reprise du jour. Pour la toute première fois, J’ai hérité de « Tempête », un bai brun à double balzane, buvant dans son blanc, et à l’œil torve. S’il n’est pas le plus grand de tous les chevaux du club, il n’en est pas moins l’un des plus difficile à monter. Sa mauvaise réputation parmi les cavaliers n’est plus à démontrer.

Je respire profondément pour chasser de mon esprit les sentiments de crainte qu’il m’inspire. Il est pratiquement certain que si Tempête ressent ma peur il va me pourrir la leçon. Il est des chevaux comme des hommes, certains sont bons, d’autres retors. La selle est placée si haut, que je dois me hausser sur la pointe des pieds pour tenter de la prendre sans me la faire tomber dessus. Une hirondelle, m’estimant trop près de son nid, me frôle le visage de son aile faucille pour bien me faire comprendre, attention pas toucher !!

Devant les écuries, chacun s’affaire à rendre beau son équidé. Ça cure, ça brosse, ça peigne et moi je n’ai encore rien fait de tout cela, à force de me perdre dans d’obscures pensées négatives. Je prends donc le premier licol à portée de main et j’entreprends de sortir mon cheval de son box, où il mangeait, tranquille, sa ration de granulé.

« Allez mon vieux, faut y aller maintenant, tu finiras plus tard ! » A ma grande surprise, il n’oppose pas la résistance que je craignais. Tempête se laisse mener sans sourciller. Peut-être a-t-il envie, lui aussi d’être étrillé, se débarrasser de la boue séchée sur ses longs poils d’hiver. Je m’active, mes camarades ayant pratiquement fini de seller leur monture. Il tourne la tête et me regarde m’occuper de lui. Un frémissement de peau lui parcourt le dos. Mais c’est qu’il a l’air d’aimer le bougre.

Le moniteur crie d’une voix de stentor qu’il est plus que temps de rejoindre de manège, pour la reprise, que les retardataires n’y seront pas admis et resterons sur la touche. Je règle mes étriers en prenant la mesure de mon bras et d’un geste qui se veut sûr, je me hisse sur la selle et j’ajuste très vite mes rênes pour pas laisser à Tempête l’opportunité de prendre l’ascendant sur moi. J’en ai tellement vu des cours où il faisait de qu’il voulait que je m’empresse d’agir vite et sans délai. Jusqu’ici tout va bien mais pour combien de temps ?

Bientôt ses sabots foulent le sable clair. Chaque cheval y laisse ses empreintes, aussitôt recouvertes par le suivant. Tout démarre doucement, dans un calme quasi silencieux, à peine rompu par le bruit de la chambrière d’un moniteur beaucoup trop zélé. Les duos, hommes/bêtes, se cherchent mutuellement et déjà, quelques couacs dans l’harmonie du début du cours. Devant nous, un cavalier peine à maintenir sa monture. Elle lui envoie des messages clairs, ce n’est pas toi le patron. Et pour bien lui faire comprendre, il jette « un petit coup de cul » déstabilisant. Sentant les rênes se resserrer, lui tirant la bouche, l’impertinent équidé met à bas son humain lui offrant une humiliation publique. C’est inouï comme les chevaux peuvent éprouver des sentiments de satisfaction à se défaire d’un gêneur.

Tempête ne bronche toujours pas, exécutant toutes les manœuvres demandées par le moniteur. D’ailleurs, je me surprends à me détendre sur le dos de mon cheval. Il oriente des oreilles vers l’arrière, il est calme, tranquille et réceptif. Lui et moi, ça fonctionne bien on dirait. Ses petites foulées de galops, éjectent du sable sur les côtés avec grâce et légèreté. Il me donne le sentiment de survoler le manège, lui le petit cheval sans distinction particulière mais au caractère bien trempé. Je lui flatte l’encolure et je le sens frémir sous la main. Il transpire mais peu m’importe car, aujourd’hui, il m’apprend beaucoup.

Le cours s’achève sous les remerciements d’usage. Je ramène Tempête qui me regarde fixement. Que s’est-il passé aujourd’hui ? Rien de plus qu’un moment de magie où chacun respectant l’autre, l’amitié a pris corps dans deux esprits en quête d’osmose.

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