« Danser »

L’idée de vous laisser embarquer dans un tourbillon, de vous mêler à une multitude de personnages, de vous laisser bercer par un bain sonore… vous séduit ? Alors, entrez (sur la pointe des pieds) dans l’univers d’Adelaïde ! 

« Danser »

C’est toujours la même scène, tous les ans. Celle de la rentrée des cours, celle où elles attendent leur professeure de danse. Il y a celle qui est là une demi-heure avant, avachie sur ses talons, rattrapant son sommeil de la veille ; celles qui débarquent pour la première fois, enfermées dans leur timidité, pleines d’appréhension derrière leur coin de mur ; celle qui est au téléphone, divaguant sans fin sur sa journée de travail, inondant les autres de ses malheurs ; celles qui s’isolent à deux ou trois papotant à voix basse ; celle qui est droite comme un i, le chignon haut, les cheveux et le justaucorps plaqués, telle un cliché de danseuse tout près de la porte d’entrée ; celui qui arrive à moitié sûr de son charme, à moitié sûr de sa place parmi tant de femmes ; celle dont on ne voit que les jambes, la tête en bas, déjà en train de s’étirer ; celle qui la regarde avec jalousie, elle aimerait être aussi souple ; et celle qui regarde la jalouse, jalouse à son tour du ventre plat et musclé, moulé par un tee-shirt rouge ; enfin celle qui arrive en retard, échevelée, débraillée, déjà pleine de sueur des précédents cours donnés, s’apprêtant à ouvrir la salle.

Parmi elles, celle qui s’étire, relève enfin la tête. Elle a les yeux quelque peu hantés et paraît perdue dans ses pensées. A chaque rentrée, elle se souvient, elle ressent pourquoi elle est là. Ses sensations et les souvenirs partagés de sa mère s’entremêlent, se mélangent. En ressort, deux voix qui se répondent, une vie de danseuse qui se dessine.

***

J’ai quinze ans, un adducteur claque. Je ne vais plus pouvoir danser et en moi se mélangent la douleur, l’amertume et le soulagement. Enfin, un peu de repos.

J’ai quatre ans, des fourmis dans les jambes, l’envie de m’élancer. Mais non, on me demande de mettre la main sur la barre et les pieds en première. Le classique, c’est pas pour moi. Tu bouges dans le salon, tes petites jambes battent la mesure, déjà à deux ans. Tu danses sans le savoir.

Tu es dans ton lit assise, immobile. Ta jambe te fait mal, mais ton visage est apaisé. Ton corps à l’arrêt, ton esprit au calme.

Je commence ma vie d’adulte, de grande. Une nouvelle ville, un travail, un autre cours de danse. J’ai hâte d’essayer ce cours, de sentir mes jambes s’étirer. Et j’ai peur de ne pas être à la hauteur, d’avoir oublié comment danser. Que la magie soit partie.

***

Tu es chez toi, tu danses malgré les douleurs de tes jambes. Tu danses pour toi et pour personne d’autre ; il a envie de te regarder, mais tu lui dis non. Tu lui dis de retourner dans la chambre. C’est ton instant, libre de tout jugement.

Tu es sur scène, tu rayonnes, tu te révèles, tu te fonds dans le groupe, les joues, rouges de plaisir. Le temps passe si vite, tu voudrais que cet instant ne s’arrête jamais.

C’est le spectacle de fin d’année. Je pense à ma mère que je n’ai pas invitée. J’aime ma liberté.

Tu es enfermée dans ta chambre, le chagrin parcourt ta chair. La musique envahit tes membres ; ton corps exprime tes pleurs.

Je suis devant la porte, avant le cours. Mes muscles sont raides, je n’ai pas envie de me faire mal à nouveau, alors je m’étire, je m’échauffe. Devoir arrêter la danse n’est plus un soulagement, seulement une frustration.

Les émotions s’estompent, les souvenirs s’éloignent, et alors qu’elle s’apprête à entrer dans la salle, il ne lui reste plus que l’envie de partager cette passion commune encore et encore.

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