C’est Alexandre qui aujourd’hui vous invite à la lecture d’une histoire bien particulière autour de la prise de risque. Impossible de vous en dire plus… Surprise !
Un simple détail
Assis sur un banc vert, il se fait tôt ; le brouillard se dissipe tandis que les premières personnes arrivent par chacune des entrées du parc. Cet instant, il le savoure, ne voit, ni ne ressent les êtres aux alentours de la même manière qu’il le faisait hier ; le parfum de lilas embaume ses pensées, le souffle du vent ébouriffe ses cheveux jusqu’à soulever un pan de sa chemise défait.
Chaque détail compte pour lui désormais. Le craquement des gravillons qui se collent à sa semelle fendue, le murmure des passants qui se racontent et une grande bouffée d’oxygène pour qui se donne du courage avant l’épreuve.
Un peu perdu dans le flot de ses observations sensorielles, sa mâchoire se crispe, tandis que ses doigts s’entrecroisent et se tordent comme pour mieux absorber son angoisse.
A l’approche, une femme non-voyante promène son chien qui la guide ; installée à ses côtés, il se décale pour creuser l’écart qui les sépare.
– Ne vous dérangez pas, j’ai assez de place.
Habituellement, il n’aurait rien répondu et se serait contenté de tourner la tête mais AUJOURD’HUI n’était pas comme d’habitude.
– Vous avez de la chance d’avoir trouvé votre place ; moi, j’ai bien peur de ne pas trouver la mienne dans tout cet espace, voyez-vous ?
– Non, je ne peux pas.
– Désolé.
La conversation se poursuit jusqu’à cette fin d’après-midi de novembre la nuit tombée. Personne n’avait été mis au courant de ce qui depuis des semaines le préoccupait ; à l’heure où certains parle de la théorie du grand remplacement, il expliqua à sa voisine de banc la théorie de l’auto-effacement ; supprimer toute trace numérique pour ne plus être suivi, s’échapper des systèmes informatiques pour retrouver sa propre liberté humaine sans but précis et rentabilité : redevenir simplement un homo sapiens vivant sur la planète terre.
Le regard fixe, droit devant, chacun se contente d’écouter l’écho provoqué par ces mots.
– Dites, vous me téléphonerez pour me raconter ?
– Oui, sans doute, personne à part vous ne sait où je vais.
*
Il sort du bureau de tabac avec un téléphone prépayé ; rien pour lui permettre d’ouvrir l’emballage en plastique dur que ses mains rougies par le gel ne parviennent à arracher.
Submergé par la rage, ses muscles se tendent jusqu’à former dans son esprit une armure ; d’un demi-tour en direction du rayon papeterie, il tire une paire de ciseaux, affûtés et pointus, et l’enfonce au travers cette fichue boîte en la triturant brutalement pour l’abandonner éventrée, là, à ses pieds parmi les blocs et les cahiers.
Le téléphone en main, la tension se relâche, son esprit lui revient ; il prend la fuite et s’engouffre aussitôt dans la ruelle pavée, humide et sombre ; le souffle court, il s’appuie tout contre le réverbère qui éclaire la pluie. Sa main droite insère la carte SIM dans son nouveau téléphone à clapet tandis que son talon gauche brise en mille petites pièces son ancien téléphone à la pomme : plus de planning, plus d’appels, plus d’emmerdes.
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