« Telles des roseaux »

Vous allez lire un récit poignant, signé par Anne. Elle y met en scène des combattantes de la liberté qui prennent des risques inimaginables.

Telles des roseaux

C’était aujourd’hui qu’elles devaient se rencontrer. Elle avait préparé des après-midis durant, dans la cuisine, cette longue banderole qu’elle avait confectionnée en récupérant de vieux draps usés que lui avait donnés son voisin de l’hôpital. Elle avait réfléchi aux mots qu’elle devait inscrire, des mots slogans, des mots percutants ! Mais plus que des mots, prendre surtout en son âme et conscience cette décision qui pourrait changer le cours de sa vie.

Elle avait contacté ses ex-collègues journalistes qui avaient pris le parti de rester sur la capitale et son amie avocate pour fixer le jour J.

Mais surtout, elle avait insisté auprès d’elles sur ce qu’elles allaient faire. Chacune d’entre elles devaient en prendre la responsabilité. Elle avait peu dormi et se sentait très fébrile. Ses enfants dormaient encore profondément. Elle caressa leurs épais cheveux noirs de jais. Etait-ce la dernière fois ? Elle remonta la lourde couverture jusqu’à leurs épaules. Il devait faire froid mais elle ne le sentait plus.

Alors, elle plia solennellement la banderole qu’elle mit dans le couffin en osier. Zahar se chargerait, elle, des piquets de bois. Elle attrapa l’abaya noir qu’elle enfila sur son costume traditionnel rose, brodé de mille couleurs étincelantes, histoire d’être invisible lorsqu’elle passerait devant le poste de police, devant ces nouveaux bourreaux.

Elle se pencha et embrassa Tahar et Nasreen, préservés par l’insouciance du sommeil. Sa gorge se serra. Une larme perla de ses yeux maquillés ; non elle ne devait pas renoncer, elle le faisait pour sa fille, elle ne devait pas flancher. Si quelque chose devait arriver, Suraya, sa cousine, viendrait les chercher pour les emmener à Herat.

L’horloge indiquait neuf heures du matin. Elle franchit la porte et sortit de la maison. La rue commerçante commençait doucement à s’agiter. Elle longea telle une ombre les magasins où dorénavant les mannequins n’étaient plus que des corps habillés sans visage. Elle passa devant l’école, désormais orpheline de ses écolières. Elle aperçut sur l’autre trottoir Zahar. De l’autre côté de la place principale de Kaboul, elle reconnut Naghma en burqa qui attendait le signal, puis Nayera, Sima et Aryana qui camouflait son appareil photo. Alors dans un élan, elle traversa pour rejoindre le centre de la place. Les autres la rejoignirent. Elle déploya en un éclair la banderole que Zahar réussit à fixer. Toutes dévoilèrent leurs tenues chatoyantes et leurs visages poudrés et, d’une seule voix, laissèrent éclater leur rage en scandant « Vous n’aurez pas notre dignité, vous n’aurez pas notre liberté, taliban, taliban !!! »

La vie se figea sur la place. Des sifflets déchirèrent l’espace et rapidement des hommes armés,les nouveaux maîtres de Kaboul, les encerclèrent tentant de couvrir cette indécente volonté de briller et de lutter. Marjan s’effondra, avant de tomber, elle put voir Aryana s’enfuir après avoir pris de nombreux clichés. 

Continuer, continuer, ne pas lâcher …

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