Aujourd’hui, c’est Annie qui va faire monter la tension. Son récit sur la prise de risque sera-t-il tragique ? Comique ? Les deux à la fois ? Bonne lecture !
Une fraction de seconde
Quelque part, au bord du lac Storvatnet,
près de Harstad
au nord de la Norvège
Le lac est gelé depuis décembre. L’épaisseur de la glace varie entre 70 cm et un mètre. La surface n’est pas uniforme. De vastes espaces sont transparents, tandis que d’autres sont enneigés.
L’équipe de tournage du prochain James Bond s’est installée, début février, dans ce lieu improbable, au bout du monde, pour y tourner une mystérieuse scène de course-poursuite. Une bonne douzaine de tentes sont déployées sur la rive, en bordure de forêt. Ce village miniature va permettre de vivre presque normalement, malgré le froid polaire. Le thermomètre affiche moins 40°, ces derniers jours. Il est 14 heures. Il faut faire vite avant que la nuit tombe. Les projecteurs s’allument. Des techniciens s’affairent sous ces étoiles artificielles, dressent des caméras et recherchent les bons cadrages. D’autres guident des drones qui font faire des plans vus du ciel. Une silhouette vêtue d’une combinaison spéciale se détache du groupe. Elle avance péniblement, courbée par un violent blizzard, en tenant une moto. Quelques mètres plus loin, elle s’arrête au niveau d’une croix marquée en peinture fluorescente sur la glace. Elle monte sur l’engin, le démarre, le fait pétarader plusieurs fois pour s’assurer de son bon état de marche.
Le haut-parleur de ma radio braille : « ACTION ! ». Le motard s’élance. Moi aussi, installé bien au chaud dans ma célèbre Aston Martin DB 85. Impossible de savoir si, aujourd’hui, c’est Alixe, l’ancienne championne de karaté ou Fred, le célèbre apnéiste, qui chevauche la bécane pour doubler Boris, le terroriste qui veut ma peau.
Je dois rouler exactement à 80 km/ heure et maintenir cette vitesse constante jusqu’à la zone éclairée. Tout va bien, même s’il y a quelques secousses à cause dès aspérités de la glace. Je ne peux m’empêcher de penser à ces cascadeurs. Éblouissant comme métier ! Même après toutes ces années où j’incarne le célèbre agent secret, j’ai toujours du mal à comprendre comment ils font pour prendre tous ces risques. Pourquoi arrivent-ils tous à surmonter leurs peurs et moi pas ? L’autre jour, à table, Alixe me disait vouloir ressentir des sensations toujours plus fortes. Cette escalade perpétuelle lui provoquait une explosion de plaisir. Oui, ces montées d’adrénaline étaient devenues une véritable drogue. « Tu sais, James, les risques sont calculés. Tout est sécurisé, ou presque ! », me disait-elle en riant, d’une voix rassurante. Fred, lui, ajoutait : « Alixe, elle veut aussi montrer qu’une femme peut exercer ce métier dangereux ! A vrai dire, je l’admire de faire ce boulot avec un enfant à la maison ! »
Maintenant, le motard me fait face. Il fonce à vive allure vers moi. Mes doigts se crispent sur le volant. Je serre les dents. La radio de bord égrène le compte à rebours. Je suis pris d’une crise d’angoisse. Je pense à ma vie. Jamais je n’avais en fait rêver d’être comédien, et encore moins l’agent 007. En fait, je voulait être écrivain. Et, puis, un jour, une femme m’a arrêté dans le métro en me tendant sa carte. Elle voulait que je fasse un casting.
Plus que quelques secondes avant la cascade. Tout a été chronométré et méticuleusement vérifié sur ordinateur. Les distances, le vent, la vitesse… Je sais qu’il va lâcher la moto, sauter sur mon capot, glisser et finir sa course sur le toit de ma voiture en marche. Là, il s’immobilisera grâce à ses gants et à sa combinaison aimantés pendant que moi, j’appuierai sur un bouton qui fera sortir une mini-caméra blindée. Elle filmera en gros plan la herse sensée le transpercer.
Seulement voilà, au moment de réaliser son saut tant attendu, le casse-cou se manque. Pour une raison inconnue, sa tête casquée heurte mon pare-brise qui vole en éclat. Son corps traverse l’habitacle comme une fusée. Il ressort par la vitre arrière. Je panique, freine à mort, donne un coup de volant pour faire demi-tour. Graves erreurs. Les pneus à clous crissent. Mon petit bolide part en toupie. Secondes interminables. Enfin, il s’arrête comme par miracle. Je suis groggy, mais très inquiet pour l’acrobate, sûrement mort après un tel choc ! Je ne peux retenir mes larmes, je pleure comme un gamin affalé sur mon siège. Si les gens savaient … je ne suis vraiment pas un héros ! Je me ressaisis. Je m’extrais de la voiture pour aller à la rencontre du corps toujours immobile sur la glace. Comme je n’ai pas de chaussures à crampons, je peine à avancer. Je fais un pas, je glisse, je tombe, je me relève, je fais un pas, je glisse et je retombe. Inlassablement. La glace craque sous mes pieds. J’ai peur. C’est alors que j’entends une voix sortir de la nuit. Celle d’Alixe qui me rassure, m’encourage, me réconforte. « Bouge pas, James, les secours vont arriver ! »
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