Fragment par fragment, Carmen dresse le portrait d’Helmut. Un « Biographème » grave et captivant. Bonne lecture !
La vie d’Helmut
1920
Helmut voit le jour par un froid mardi d’hiver. C’est le quatrième enfant d’Otto et Magda Schneider, petits épiciers cherchant à s’embourgeoiser dans un quartier populaire de Berlin. Seul survivant de la fratrie, il restera fils unique. Pieuse et dévote, sa mère le consacre à la Sainte Vierge. Elle ferait n’importe quoi pour protéger son enfant. Son père, athée, la laisse faire sans broncher. Il ne veut surtout pas chagriner davantage une épouse suffisamment éprouvé par la vie.
1931
Le dimanche, c’est messe obligatoire pour Helmut et sa mère avant le repas de famille. Le dimanche il n’a pas le droit d’aller voir ses copains. Alors, il passe la journée à s’ennuyer entre ses parents déjà âgés. Seule, la tarte aux pommes du goûter égaye son après-midi qui accompagne la visite hebdomadaire de ses parrain et marraine.
1938
Helmut n’est certainement pas l’étudiant le plus brillant de sa promotion. Il décroche le bac de justesse. A un point près. Mais peu importe aux yeux de ses parents. Il sera médecin, avocat, magistrat ou même ministre. Lui ne sait pas quoi faire de sa vie. Il pense surtout aux filles de son quartier. Au loin, s’amoncellent de lourds nuages noirs.
1939
Maria a vingt ans. Elle est aussi blonde qu’Helmut est brun. Elle est la troisième des six filles du boucher-charcutier de la Hauptstrasse. Elle est fraîche et jolie mais de faible constitution. Sa sœur aînée, Gerda, a elle aussi le béguin pour Helmut, mais lui préfère la cadette. Gerda finira par épouser Julius, le vitrier.
1940
Helmut est fou de chagrin. Sa bien-aimée Maria est morte du typhus juste après l’annonce de leurs fiançailles. Le mariage n’aura jamais lieu. Helmut accompagne au cimetière une fiancée revêtue de sa robe de promise. Il en veut à la terre entière et plus encore aux habitants juifs de son quartier. Il les accuse de propager des maladies mortelles, de vivre dans la crasse. Déterminé à éradiquer la vermine galopante dans son pays, il choisit de s’engager dans l’armée allemande. Il a le sentiment de participer à l’effort national cherchant à rétablir la loi et l’ordre.
1941
Paris. Helmut a quitté son Allemagne natale pour la toute première fois de sa vie. Il n’aime pas la capitale française.
1942
Helmut passe en conseil de discipline pour une supposée insubordination. Il rentre au pays. Il sera gardien de camp.
1945
Auschwitz est libéré.
Helmut est emprisonné.
1960
La lourde porte de sa cellule s’ouvre et laisse passer Helmut pour la dernière fois. Il rassemble les maigres affaires qui lui appartiennent. Dehors, le monde a évolué. Pas lui. Rigueur, discipline, ordre. C’est toute la philosophie de son existence. Qu’il soit devant ou derrière une porte, peu importe. Dans la vie il faut savoir et surtout accepter de se conformer strictement aux règles établies. Et ne jamais en changer d’un iota. Sans quoi c’est toute la société qui part en vrille.
Aujourd’hui, il ne ressent ni regrets, ni remords, ni amertume sur ce qui l’a amené à faire quinze années en prison. A peine le sentiment de ne jamais avoir réellement compris de ses contemporains.
1990
Helmut traîne sa longue et maigre silhouette dans les allées fleuries de Tiergarten. Berlin reste pour lui le seul endroit sur terre digne de ce nom pour vivre. L’après-midi c’est toujours deux heures de promenade quel que soit le temps. C’est que ça demande de l’exercice un berger allemand. C’est la seule race de chien qui ait grâce à ses yeux. Il aime bien marcher. Il ressent un peu moins la solitude de ses vieux jours au milieu de tous ces gens qui ne lui parlent pas. A peine, certains habitués du parc ont-ils remarqué cet homme au visage émacié et impassible avec une allure d’un autre temps, comme sorti d’une carte postale d’avant-guerre. Costume impeccable, gabardine nylon et chapeau style panama. Immuable Helmut figé dans le temps et l’espace.
1995
Helmut est dans son fauteuil Voltaire. Son chien est mort l’année dernière. Il se sent trop vieux pour reprendre un compagnon de route. Schnell ne sera pas remplacé. Il n’a plus envie d’aller au parc. Seul il se sent, seul il reste. Il continue à être tiré à quatre épingles. Rien n’est plus détestable pour lui que d’être découvert mort dans une tenue indécente. Il a encore en tête le souvenir de ces corps entassés à l’arrière des fours. Allemand jusqu’au bout des ongles, il veut faire un beau cadavre. Perdu dans ce monde qu’il ne reconnaît pas, Helmut aujourd’hui se sent prêt à aller rendre des comptes à son créateur.
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