Tout au long des ateliers, Carmen s’est attachée à situer ses récits au sein du monde carcéral. Le souvenir qu’elle évoque est donc naturellement présenté à travers le prisme de la prison. Bonne lecture !
Tonton
Je me souviens encore de ce fameux dimanche là. 10 mai 1981.
Depuis le matin, toute la section s’agitait dans tous les sens. Le long du grand couloir central, se murmurait que cette fois c’était la bonne. Tonton allait enfin accéder au pouvoir. Une révolution entre les barreaux. Comme si cela allait changer quelque chose pour eux. Pourtant les gars y croyaient aussi dur que le fer des portes de métal. Ma parole !! Je vous jure que c’était bien la première que je voyais autant de sourires sur des visages fermés d’habitude.
Moi ce que je m’en fichais de leurs histoires à deux balles. J’aimais mieux cloper pénard dans mon coin. Les autres, ils refaisaient leur monde de misère. Pff, si ça leur chantait, après tout pourquoi pas, tant qu’on ne venait pas me casser les pieds.
Mais, pour être totalement clean sur le sujet, dans le fond les potes je les comprenais. J’avais juste pas envie de prendre part à l’effervescence qui s’était emparé de la maison d’arrêt. Pour beaucoup c’était le début d’un espoir. Surtout l’autre qui craignait pour ses fesses, enfin sa tête ! Alors un président de gauche ça faisait bien ses affaires à cet assassin de petites vieilles. Je l’aimais pas ce mec. Je n’ai jamais été un saint mais je n’ai jamais mangé de ce pain-là.
Suppression de la peine de mort et suspension immédiate des exécutions prévues. La voilà donc la première grande mesure promise. On allait bien voir s’ils tenaient parole. Car ces gens-là quand il faut promettre, ils savent y faire, quand il faut appliquer y’a plus personne au bout du fil ! bah voyons !!! alors moi j’attendais de voir avant de m’emballer comme bœuf.
J’en avais chaud à force de les voir gesticuler dans tous les sens comme des fourmis paniquées à qui on aurait flanqué un grand coup de latte dans leur fourmilière. Purée, vivement qu’on soit à demain et qu’on finisse avec tout ce cirque. Ce que j’aurais rigolé si c’était l’autre gigue qui repassait. Rien que pour me délecter de leur tronche déconfite. Et même les matons se mirent de la partie.
« Tu y crois ça, mon pote !! 39 heures de boulot seulement et une cinquième semaine de congés payés. Je vais emmener ma femme et mes gosses au Club Med cette année et hors saison je pourrais en plus prendre ma belle-mère. Ça apaisera les tensions avec Madame et elle sera plus gentille si tu vois ce que je veux dire ! »
C’était beau de rêver quand on vivait entre quatre murs mais ça n’effaçait pas les barreaux des fenêtres.
20 heures. Le poste de télé hurlait à mort dans la grande salle. J’avais l’impression que tous les détenus s’étaient donnés rendez-vous.
« Vos gueules, on n’entend rien. Boucle ta grande bouche, ça nous fera des vacances et on veut écouter. »
Nom de dieu, mais c’est quoi cette façon de faire !! Ils le découpent en tranches, on dirait, pour faire durer le suspense. Ducon, ce n’est pas un polar ! Et le grand gagnant, c’est Tonton !! Explosion de joie, j’ai les oreilles qui me font mal.
Les choses allaient sûrement changer pour les bons citoyens. Moi, dans ma prison se serait que dalle. Alors je rentrais dans ma cellule. J’avais juste envie de dormir.
Je déteste toujours autant les soirs d’élection et cette dernière n’échappe pas à la règle. A chaque fois, ils nous font croire que nous allons mieux vivre qu’avant. Avant quoi ? toujours les mêmes rengaines qu’on nous ressort. Pour moi, 2022 ne va rien changer dans ma vie ou si peu que je m’en rendrai pratiquement pas compte. Ça dépendra du nouveau garde des Sceaux. Avec le recul, je dois bien reconnaître que le vieux Robert a carrément assuré. Chapeau l’artiste ! tu es un mec bien, toi.
Mais aujourd’hui, je m’en fiche de tout et plus qu’hier. Au final, j’ai passé plus de jours dedans que dehors, alors ce dimanche 26 avril 2022 ne sera qu’un dimanche comme les autres.
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